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— Sans doute ; mais pourquoi plonger dans ces mystères ?
Laissons rêver les morts dans leurs lits solitaires,
En conversation avec le ver impur !
À nous la vie, à nous le soleil et l’azur,
À nous tout ce qui chante, à nous tout ce qui brille,
Les courses de taureaux dans Madrid ou Séville,
Les pesants picadors et les légers chulos,
Les mules secouant leurs grappes de grelots,
Les chevaux éventrés, et le taureau qui râle
Fondant, l’épée au cou, sur le matador pâle !
À nous la castagnette, à nous le pandéro,
La cachucha lascive et le gai boléro,
Le jeu de l’éventail, le soir, aux promenades,
Et sous le balcon d’or les molles sérénades !
Les vivants sont charmants et les morts sont affreux.
— Oui ; mais le ver un jour rongera ton œil creux,
Et comme un fruit gâté, superbe créature,
Ton beau corps ne sera que cendre et pourriture ;
Et le mort outragé, se levant à demi,
Dira, le regard lourd d’avoir longtemps dormi :
« Dédaigneuse ! à ton tour tu donnes la nausée,
« Ta figure est déjà bleue et décomposée,
« Tes parfums sont changés en fétides odeurs,
« Et tu n’es qu’un ramas d’effroyables laideurs ! »


Vergara, 1841.