Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome XI.djvu/367

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à laquelle il ne fût très facile de répondre. Je vous dirai donc que je suis un homme.

Eudoxe. Vous ne faites pas attention à ma question, et la réponse que vous me faites, quelque simple qu’elle vous paroisse, nous jetteroit dans un dédale de difficultés, si je voulois tant soit peu la presser. Par exemple, si je demandois à Épistémon lui-même ce que c’est qu’un homme, et qu’il me répondit, comme on fait dans les écoles, qu’un homme est un animal raisonnable ; et si outre cela, pour nous expliquer ces deux termes, qui ne sont pas moins obscurs que le premier, il nous conduisoit par tous les degrés qu’on appelle métaphysiques, nous serions entraînés dans un labyrinthe duquel il nous seroit impossible de sortir. En effet, de cette question il en naît deux autres : la première, qu’est-ce qu’un animal ? la seconde, qu’est-ce que raisonnable ? Et de plus, si pour expliquer ce que c’est qu’un animal, il nous disoit que c’est quelque chose de vivant, que quelque chose de vivant est un corps animé, qu’un corps est une substance corporelle, vous voyez que les questions, comme les branches d’un arbre généalogique, iraient en s’augmentant et en se multipliant ; et, en définitive, toutes ces belles questions finiroient par une pure battologie, qui n’éclairciroit rien, et nous laisseroit dans notre première ignorance.