Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome XI.djvu/350

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Eudoxe. Peut-il se faire, Épistemon, que vous, qui êtes si instruit, puissiez croire qu’il est dans la nature un mal tellement universel qu’on ne puisse y apporter remède ? Quant à moi je pense que, tout comme dans chaque pays, il est assez de fruits et de ruisseaux pour apaiser la faim et la soif de tous les hommes, de même il est assez de vérités que l’on peut connoître en chaque matière pour satisfaire la curiosité des esprits sains ; et je crois que le corps d’un hydropique n’est guère plus malade que l’esprit de ceux qui sont perpétuellement agités d’une curiosité insatiable.

Épistemon. J’ai bien, il est vrai, entendu dire autrefois que nos désirs ne pouvoient s’étendre jusqu’aux choses qui nous paroissent impossibles ; mais on peut savoir tant de choses qui sont évidemment à notre portée, et qui non seulement sont honnêtes et agréables, mais encore utiles pour la conduite de la vie, que je ne crois pas que jamais personne en sache assez pour ne pas avoir toujours des raisons légitimes d’en désirer savoir davantage.

Eudoxe. Que diriez-vous donc de moi, si je vous affirmois que je ne me sens plus aucun désir d’apprendre quoi que ce soit, et que je suis aussi content de ma petite science qu’autrefois Diogène de son tonneau, et cela sans que j’aie besoin de sa