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par l’entremise de l’air et des autres corps transparents en même façon que le mouvement ou la résistance des corps que rencontre cet aveugle passe vers sa main par l’entremise de son bâton. Ce qui vous empêchera d’abord de trouver étrange que cette lumière puisse étendre ses rayons en un instant depuis le soleil jusqu’à nous ; car vous savez que l’action dont on meut l’un des bouts d’un bâton doit ainsi passer en un instant jusques à l’autre, et qu’elle y devroit passer en même sorte, encore qu’il y auroit plus de distance qu’il n’y en a depuis la terre jusques aux cieux. Vous ne trouverez pas étrange non plus que, par son moyen, nous puissions voir toutes sortes de couleurs ; et même vous croirez peut-être que ces couleurs ne sont autre chose dans les corps qu’on nomme colorés que les diverses façons dont ces corps la reçoivent et la renvoient contre nos yeux : si vous considérez que les différences qu’un aveugle remarque entre des arbres, des pierres, de l’eau, et choses semblables, par l’entremise de son bâton, ne lui semblent pas moindres que nous sont celles qui sont entre le rouge, le jaune, le vert et toutes les autres couleurs ; et toutefois que ces différences ne sont autre chose en tous ces corps que les diverses façons de mouvoir ou de résister aux mouvements de ce bâton. Ensuite de quoi vous aurez occasion de juger qu’il n’est pas besoin de suppo-