Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/82

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avoit vécu dans le fond de la Nord-Hollande ; il osa y avoir des mœurs et de la vertu ; il ne fut ni vil, ni bas, ni flatteur ; il ne fut point le lâche complaisant des princes ni des grands ; il ne crut point qu’il devoit oublier la philosophie pour la fortune ; il ne brigua point ces places qui n’agrandissent jamais ceux qui sont petits, et rabaisseroient plutôt ceux qui sont grands. Et comment Descartes auroit-il pu avoir de telles pensées ? Celui qui est sans cesse occupé à méditer sur l’éternité, sur le temps, sur l’espace, ne doit-il pas contracter une habitude de grandeur, qui de son esprit passe à son âme ? celui qui mesure la distance des astres, et voit Dieu au-delà ; celui qui se transporte dans le soleil ou dans Saturne pour y voir l’espace qu’occupe la terre, et qui cherche alors vainement ce point égaré comme un sable à travers les mondes, reviendra-t-il sur ce grain de poussière pour y flatter, pour y ramper, pour y disputer ou quelques honneurs ou quelques richesses ? Non : il vit avec Dieu et avec la nature ; il abandonne aux hommes les objets de leurs passions, et poursuit le cours de ses pensées, qui suivent le cours de l’univers ; il s’applique à mettre dans son âme l’ordre qu’il contemple, ou plutôt son âme se monte insensiblement au ton de cette grande harmonie. Je ne louerai donc point Descartes de n’avoir été ni intrigant ni ambitieux. Je ne le louerai point