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dans ces climats où le genre humain est encore ignorant et avili ; peut-être il fera le tour de l’univers.

On a vu dans quel état étoient les sciences au moment où Descartes parut ; comment l’autorité enchaînoit la raison ; comment l’être qui pense avoit renoncé au droit de penser. Il en est des esprits comme de la nature physique : l’engourdissement en est la mort ; il faut de l’agitation et des secousses ; il vaut mieux que les vents ébranlent l’air par des orages, que si tout demeuroit dans un éternel repos. Descartes donna l’impulsion à cette masse immobile. Quel fut l’étonnement de l’Europe, lorsqu’on vit paroître tout-à-coup cette philosophie si hardie et si nouvelle ! Peignez-vous des esclaves qui marchent courbés sous le poids de leurs fers : si tout-à-coup un d’entre eux brise sa chaîne, et fait retentir à leurs oreilles le nom de liberté, ils s’agitent, ils frémissent, et des débris de leurs chaînes rompues accablent leurs tyrans. Tel est le mouvement qui se fit dans les esprits d’un bout de l’Europe à l’autre. Cette masse nouvelle de connoissances que Descartes y avoit jetée se joignit à la fermentation de son esprit. Réveillé par de si grandes idées et par un si grand exemple, chacun s’interroge et juge ses pensées, chacun discute ses opinions. La raison de l’univers n’est plus celle d’un homme qui existoit il y a quinze siècles ; elle est dans l’âme de chacun elle est dans l’évi-