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mais vous ne savez pas encore ce que c’est que cette chose qui pense. Et que savez-vous si ce n’est point un corps qui, par ses divers mouvements et rencontres, fait cette action que nous appelons du nom de pensée ? Car, encore que vous croyiez avoir rejeté toutes sortes de corps, vous vous êtes pu tromper en cela, que vous ne vous êtes pas rejeté vous-même, qui peut-être êtes un corps. Car comment prouvez-vous qu’un corps ne peut penser, ou que des mouvements corporels ne sont point la pensée même ? Et pourquoi tout le système de votre corps, que vous croyez avoir rejeté, ou quelques parties d’icelui, par exemple celles du cerveau, ne pourroient-elles pas concourir à former ces sortes de mouvements que nous appelons des pensées ? Je suis, dites-vous, une chose qui pense ; mais que savez-vous si vous n’êtes point aussi un mouvement corporel, ou un corps remué ?

Secondement, de l’idée d’un être souverain, laquelle vous soutenez ne pouvoir être produite par vous, vous osez conclure l’existence d’un souverain être, duquel seul peut procéder l’idée qui est en votre esprit[1] ; comme si nous ne nous trouvions pas en nous un fondement suffisant, sur lequel seul étant appuyés, nous pouvons former cette idée, quoiqu’il n’y eût point de souverain être, ou que nous ne sussions pas s’il y en a un, et que son

  1. Voyez Méditation III, page 280 .