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je vois que tant en ceci qu’en plusieurs autres choses semblables, j’ai accoutumé de pervertir et confondre l’ordre de la nature, parceque ces sentiments ou perceptions des sens n’ayant été mises en moi que pour signifier à mon esprit quelles choses sont convenables ou nuisibles au composé dont il est partie, et jusque là étant assez claires et assez distinctes, je m’en sers néanmoins comme si elles étoient des règles très certaines, par lesquelles je pusse connoître immédiatement l’essence et la nature des corps qui sont hors de moi, de laquelle toutefois elles ne me peuvent rien enseigner que de fort obscur et confus.

Mais j’ai déjà ci-devant assez examiné comment, nonobstant la souveraine bonté de Dieu, il arrive qu’il y ait de la fausseté dans les jugements que je fais en cette sorte. Il se présente seulement encore ici une difficulté touchant les choses que la nature m’enseigne devoir être suivies ou évitées, et aussi touchant les sentiments intérieurs qu’elle a mis en moi ; car il me semble y avoir quelquefois remarqué de l’erreur, et ainsi que je suis directement trompé par ma nature : comme, par exemple, le goût agréable de quelque viande en laquelle on aura mêlé du poison peut m’inviter à prendre ce poison, et ainsi me tromper. Il est vrai toutefois qu’en ceci la nature peut être excusée, car elle me porte seulement à désirer la viande dans laquelle