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comme dans un miroir, le monde qui est hors d’elle. Les sens sont donc les messagers de l’âme. Mais quelle foi peut-elle ajouter à leur rapport ? Souvent ce rapport la trompe. Descartes remonte alors jusqu’à Dieu. D’un côté, la véracité de l’Être suprême ; de l’autre, le penchant irrésistible de l’homme à rapporter ses sensations à des objets réels qui existent hors de lui : voilà les motifs qui le déterminent, et il se ressaisit de l’univers physique qui lui échappoit.

Ferai-je voir ce grand homme, malgré la circonspection de sa marche, s’égarant dans la métaphysique, et créant son système des idées innées ? Mais cette erreur même tenoit à son génie. Accoutumé à des méditations profondes, habitué à vivre loin des sens, à chercher dans son âme ou dans l’essence de Dieu, l’origine, l’ordre et le fil de ses connoissances, pouvoit-il soupçonner que l’âme fût entièrement dépendante des sens pour les idées ? N’étoit-il pas trop avilissant pour elle qu’elle ne fût occupée qu’à parcourir le monde physique pour y ramasser les matériaux de ses connoissances, comme le botaniste qui cueille ses végétaux, ou à extraire des principes de ses sensations, comme le chimiste qui analyse les corps ? Il étoit réservé à Locke de nous donner sur les idées le vrai système de la nature, en développant un principe connu par Aristote et saisi par Bacon, mais dont