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votre politesse et de vos avantages, souffrez que je vous dise la vérité ; ce n’est jamais parmi vous que l’on fera ni que l’on pensera de grandes choses. Vous polissez l’esprit, mais vous énervez le génie. Qu’a-t-il besoin de vos vains ornements ? Sa grandeur fait sa beauté. C’est dans la solitude que l’homme de génie est ce qu’il doit être ; c’est là qu’il rassemble toutes les forces de son âme. Auroit-il besoin des hommes ? N’a-t-il pas avec lui la nature ? et il ne la voit point à travers les petites formes de la société, mais dans sa grandeur primitive, dans sa beauté originale et pure. C’est dans la solitude que toutes les heures laissent une trace, que tous les instants sont représentés par une pensée, que le temps est au sage, et le sage à lui-même. C’est dans la solitude surtout que l’âme a toute la vigueur de l’indépendance. Là elle n’entend point le bruit des chaînes que le despotisme et la superstition secouent sur leurs esclaves : elle est libre comme la pensée de l’homme qui existeroit seul. Cette indépendance, après la vérité, étoit la plus grande passion de Descartes. Ne vous en étonnez point ; ces deux passions tiennent l’une à l’autre. La vérité est l’aliment d’une âme fière et libre, tandis que l’esclave n’ose même lever les yeux jusqu’à elle. C’est cet amour de la liberté qui engage Descartes à fuir tous les engagements, à rompre tous les petits liens de so-