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tout ailleurs. Mais, dégoûté bientôt de spéculations abstraites, le désir de se rapprocher des hommes le rentraînoit à l’étude de la nature. Il se livroit à toutes les sciences : il n’y trouvoit pas la certitude de la géométrie, qu’elle ne doit qu’à la simplicité de son objet ; mais il y transportoit du moins la méthode des géomètres. C’est d’elle qu’il apprenoit à fixer toujours le sens des termes, et à n’en abuser jamais ; à décomposer l’objet de son étude, à lier les conséquences aux principes ; à remonter par l’analyse, à descendre par la synthèse. Ainsi l’esprit géométrique affermissoit sa marche ; mais le courage et l’esprit d’indépendance brisoient devant lui les barrières pour lui frayer des routes. Il étoit né avec l’audace qui caractérise le génie ; et sans doute les événements dont il avoit été témoin, les grands spectacles de liberté qu’il avoit vus en Allemagne, en Hollande, dans la Hongrie et dans la Bohême, avoient contribué à développer encore en lui cette fierté d’esprit naturelle. Il osa donc concevoir l’idée de s’élever contre les tyrans de la raison. Mais, avant de détruire tous les préjugés qui étoient sur la terre, il falloit commencer par les détruire en lui-même. Comment y parvenir ? comment anéantir des formes qui ne sont point notre ouvrage, et qui sont le résultat nécessaire de mille combinaisons faites sans nous ? Il falloit, pour ainsi dire, détruire son