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entretiens où l’âme, abandonnée à elle-même, s’épanche librement au sein de l’amitié, Descartes, à ce qu’on dit, avoua lui-même le contraire. Quoi qu’il en soit, tout le monde sait qu’il eut une fille nommée Francine ; elle naquit en Hollande le 13 juillet 1635, et fut baptisée sous son nom. Déjà il pensoit à la faire transporter en France, pour y faire commencer son éducation ; mais elle mourut tout-à-coup entre ses bras, le 7 septembre 1640. Elle n’avoit que cinq ans. Il fut inconsolable de cette mort. Jamais, dit-il, il n’éprouva de plus grande douleur de sa vie. Depuis, il aimoit à s’en entretenir avec ses amis ; il prononçoit souvent le nom de sa chère Francine ; il en parloit avec la douleur la plus tendre, et il écrivit lui-même l’histoire de cette enfant, à la tête d’un ouvrage qu’il comptoit donner au public. Il semble que, n’ayant pu la conserver, il vouloit du moins conserver son nom… Avec ce naturel bon et tendre, Descartes dut avoir des amis : il en eut en effet un très grand nombre. Il en eut en France, en Hollande, en Angleterre, en Allemagne, et jusqu’à Rome ; il en eut dans tous les états et dans tous les rangs. Il ne pouvoit point se faire que, de tous ces amis, il n’y en eût plusieurs qui ne lui fussent attachés par vanité. Ceux-là, il les payoit avec sa gloire ; mais il réservoit aux autres cette amitié simple et pure, ces doux épanchements de l’âme, ce commerce intime qui fait les délices d’une vie obscure et que rien ne remplace pour les âmes sensibles. La plupart des hommes veulent qu’on soit reconnoissant de leurs bienfaits : pour moi, disoit Descartes, je crois devoir du retour à ceux qui m’offrent l’occasion de les servir. Ce beau sentiment, qu’on a tant répété depuis, et qui est presque devenu une formule, se trouve dans plusieurs de ses lettres. À l’égard de Dieu et de la religion, voici comme il pensoit. Jamais philosophe ne fut plus respectueux pour la Divinité. Il prétendoit que les vérités même qu’on appelle éternelles et mathématiques ne sont telles que parceque Dieu l’a voulu. Ce sont des lois, disoit-il, que Dieu a établies dans la nature, comme un prince fait des lois dans son royaume. Il