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de son voyage. Ceux qui l’avoient appelé furent curieux de le voir, non pour l’entendre et profiter de ses lumières, mais pour connoître sa figure. « Je m’aperçus, dit-il dans une de ses lettres, qu’on vouloit m’avoir en France, à peu près comme les grands seigneurs veulent avoir dans leur ménagerie un éléphant, ou un lion, ou quelques animaux rares. Ce que je pus penser de mieux sur leur compte, ce fut de les regarder comme des gens qui auroient été bien aises de m’avoir à dîner chez eux ; mais en arrivant, je trouvai leur cuisine en désordre et leur marmite renversée. » Au reste, il ne faut point omettre ici le juste éloge dû au chancelier Seguier, qui distingua Descartes comme il le devoit, et le traita avec le respect dû à un homme qui honoroit son siècle et sa nation.

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Il s’en falloit de beaucoup que toute la famille de Descartes lui rendît justice, et sentît l’honneur que Descartes lui faisoit. Il est vrai que son père l’aimoit tendrement, et l’appeloit toujours son cher philosophe ; mais le frère aîné de Descartes avoit pour lui très peu de considération. Ses parents, dit l’historien de sa vie, sembloient le compter pour peu de chose dans sa famille, et, ne le regardant plus que sous le titre odieux de philosophe, tâchoient de l’effacer de leur mémoire, comme s’il eût été la honte de sa race. On lui donna une marque bien cruelle de cette indifférence, à la mort de son père. Ce vieillard respectable, doyen du parlement de Bretagne, mourut en 1640, âgé de soixante et dix-huit ans ; on n’instruisit Descartes ni de sa maladie ni de sa mort. Il y avoit déjà près de quinze jours que ce bon vieillard étoit enterré, quand Descartes lui écrivit la lettre du monde la plus tendre. Il se justifioit d’habiter dans un pays étranger, loin d’un père qu’il aimoit. Il lui marquoit le désir qu’il avoit de faire un voyage en France pour le revoir, pour l’embrasser, pour recevoir encore une fois sa bénédiction… Quand la lettre de Descartes arriva, il y avoit déjà un mois que son père étoit mort. On se souvint alors