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dans ma nation qui ne me pardonneroient point l’éloge d’un philosophe vivant ; mais Descartes est mort, et depuis cent quinze ans il n’est plus ; je ne crains ni de blesser l’orgueil ni d’irriter l’envie.

Pour juger Descartes, pour voir ce que l’esprit d’un seul homme a ajouté à l’esprit humain, il faut voir le point d’où il est parti. Je peindrai donc l’état de la philosophie et des sciences au moment où naquit ce grand homme ; je ferai voir comment la nature le forma, et comment elle prépara cette révolution qui a eu tant d’influence. Ensuite je ferai l’histoire de ses pensées. Ses erreurs mêmes auront je ne sais quoi de grand. On verra l’esprit humain, frappé d’une lumière nouvelle, se réveiller, s’agiter, et marcher sur ses pas. Le mouvement philosophique se communiquera d’un bout de l’Europe à l’autre. Cependant, au milieu de ce mouvement général, nous reviendrons sur Descartes ; nous contemplerons l’homme en lui ; nous chercherons si le génie donne des droits au bonheur ; et nous finirons peut-être par répandre des larmes sur ceux qui, pour le bien de l’humanité et leur propre malheur, sont condamnés à être de grands hommes.

La philosophie, née dans l’Égypte, dans l’Inde et dans la Perse, avoit été en naissant presque aussi barbare que les hommes. Dans la Grèce, aussi féconde que hardie, elle avoit créé tous ces