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l’a seulement envoyé mourir à Cayenne et dans les cachots ; on n’a fait que massacrer les capucins dans leur couvent à Nîmes, qu’égorger les prêtres dans la glacière à Avignon, que les noyer dans les bateaux à soupapes à Nantes, que les massacrer à Paris aux Carmes et dans la prison de l’Abbaye. Un témoin oculaire nous a raconté comment la chose se passait, pour le plus grand triomphe des lumières sur la superstition et les préjugés.

« À dix heures, dit M. Journiac Saint-Méard, l’abbé Lenfant, confesseur du roi, et l’abbé Chapt de Rastignac, parurent dans la tribune de la chapelle qui nous servait de prison, et dans laquelle ils étaient entrés par une porte qui donnait sur l’escalier. — Ils nous annoncèrent que notre dernière heure approchait, et nous invitèrent à nous recueillir pour recevoir leur bénédiction. — Un mouvement électrique, qu’on ne peut définir, nous précipita tous à genoux, et, les mains jointes, nous la reçûmes. — À la veille de paraître devant l’Être suprême, agenouillés devant deux de ses ministres, nous présentions un spectacle indéfinissable. L’âge de ces deux vieillards, leur position au-dessus de nous, la mort planant sur nos têtes, et nous environnant de toutes parts, tout répandait sur cette cérémonie une teinte auguste et lugubre : elle nous rapprochait de la Divinité, elle nous rendait le courage ; tout raisonnement était suspendu ; le plus froid et le plus incrédule en reçut autant d’impression que le plus ardent et le plus sensible. Une demi-heure après, ces deux prêtres furent massacrés, et nous entendîmes leurs cris. »

Quel est l’homme qui lira les détails suivants sans que ses yeux se remplissent de larmes, sans éprouver les crispations et les frémissements de la mort ? Quel est celui dont les cheveux ne se dresseront pas d’horreur ?

« Notre occupation la plus importante était de savoir quelle serait la position que nous devions prendre pour recevoir la mort le moins douloureusement possible, quand nous entrerions dans le lieu des massacres. Nous envoyions de temps à autre quelques-uns de nos camarades à la fenêtre de la tourelle, pour nous instruire de celle que prenaient les malheureux qu’on immolait, et pour calculer, d’après leur rapport, celle que nous ferions bien de prendre. Ils nous rapportaient que ceux qui étendaient leurs mains souffraient beaucoup plus longtemps, parce que les coups de sabre étaient amortis avant de porter sur la tête ; qu’il y en avait même dont les mains et les bras tombaient avant le corps, et que ceux qui les plaçaient derrière le dos devaient souffrir beaucoup moins… Hé bien ! c’était sur ces horribles détails que nous délibérions. Nous calculions les avantages de cette dernière position, et nous nous conseillions réciproquement de la prendre, quand notre tour d’être massacrés serait venu. »

Chantez maintenant de joyeux refrains ; imaginez des caricatures bien bouffonnes sur les sujets précédents ; faites l’éloge de la Convention : quand vous serez en verve, ne vous gênez pas. Il est si courageux aujourd’hui d’attaquer le reste de ces prêtres échappés aux pamphlets de Marat et aux héros de septembre ! il faut tant d’esprit pour rire de ces hommes qui n’ont ni pain ni asile, et qui ne demandent que la permission de consoler les misérables ! Lorsque l’Esprit vous saisira, nous seconderons en vous l’inspiration révolutionnaire, en vous lisant quelque beau passage du Journal des Jacobins, vos illustres devanciers. Nous ouvrirons le Moniteur, et puisqu’il vous plaît de parler d’échafauds et de massacres, nous compterons.

Dans vos caricatures, vous prétendez que les missionnaires ont un tarif pour leurs services : oui, ce tarif des fautes est un seul repentir. Est-ce trop cher ? Mais vous-mêmes n’avez-vous pas eu vos tarifs ? Les bons avec lesquels vous payiez chaque as-