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remuer, avant que Dieu même le condamne. Et en effet Méré conserve à travers l’éclat et l’entraînement du monde une richesse de vie, une sorte de sève morale qui permet à Pascal d’espérer en lui ; mais avec Miton le chrétien mesure l’abîme du doute tranquille et de la négation ; l’ardeur qui travaille Pascal ne rencontre que sécheresse et stérilité. Miton ne croit à rien ; il n’est dupe ni du « bon air » ni des « grands mots », il ne s’étourdit pas comme Méré dans l’étalage de sa propre supériorité, il ne prodigue pas ses conseils et ses jugements ; il est détaché des hommes, détaché des plaisirs, détaché de la vanité[1]. Sa clairvoyance est impitoyable, comme sa correction et sa politesse. En face de la religion, son attitude est exacte ment celle qui est définie dans le Mont des Oliviers : le

  1. Nous ne connaissons Miton directement que par sa correspondance avec Méré. Il écrit à Méré qui songe à un ouvrage qui ne périsse jamais : ce Le monde en vaut-il la peine ? ces choses ne se font pas sans beaucoup de travail. On incommode sa santé par des méditations profondes, et la récompense en est bien légère, le parti le plus sûr, ce me semble, est de ne songer qu’à des choses simples, et même badines, et d’en revenir toujours là. » Ailleurs, soupçonnant Méré de se consoler facilement de son absence dans le jeu et les divertissements de Paris, il ajoute : « Quand des songe-creux comme nous rencontrent par hasard quelque plaisir, il ne faut pas leur en savoir mauvais gré. Pour moi je me trouve si peu content de tout que sans quelques pensées qui m’amusent dont les unes sont pleines de faiblesse, et les autres de vanité, je donnerais tout pour peu de chose. Mais cela est bien triste ; il faut doubler le pas pour s’en éloigner. » Voici enfin un passage mystérieux où l’on ne peut s’empêcher de penser à Pascal : « Ce que vous me mandez de notre ami est admirable, et la préférence sur Descartes et sur Platon dont il m’honore m’a bien fait rire. Ne vous souvient-il pas que je lui disais toujours que je n’étais pas en peine de son approbation, et que je la regardais comme un bien qui m’était assuré ? Je vous supplie très humblement de lui dire que je lui en suis très obligé, et que l’espérance de passer encore d’agréables soirées ensemble me donne beaucoup de joie. » (Œuvres du chev. de Méré, t. I, p. 253.) Cf. l’Appendice au fr. 233.