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heures ; l’autre dit : Il n’y a que trois quarts d’heure. Je regarde ma montre, et je dis à l’un : Vous vous ennuyez ; et à l’autre : Le temps ne vous dure guère ; car il y a une heure et demie — et je me moque de ceux qui disent que le temps me dure à moi, et que j’en juge par fantaisie : ils ne savent pas que je juge par ma montre l.

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Comme on se gâte l’esprit, on se gâte aussi le sen timent.

On se forme l’esprit et le sentiment par les con versations, on se gâte l’esprit et le sentiment par les conversations 3. Ainsi les bonnes ou les mauvaises le


i. Ceci est un trait particulier à Pascal ; il « portait toujours une montre attachée à son poignet gauche », et il pouvait ainsi la consulter sans que personne sans aperçût. — Cette montre symbolise ici la règle qu’il conviendrait d’appliquer aux ouvrages de l’esprit ; seulement Pascal reconnaît ailleurs que la raison est incapable de fournir une règle de ce genre, et qu’il en faut revenir au sentiment qui lui-même n’a pas de règle. En fait, du reste, la montre elle-même ne mesure qu’un temps idéal, et qui nous est indifférent ; la réalité, c’est la durée, longue avec l’ennui et courte avec le plaisir. Cf. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889, chap. 11.

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Cf. B., 421 ; C, 3g6 ; P. R., XXXI, 23 ; Bos., T, 1, 16 ; Faug., I, 196 ; Hay., VII, 16 ; Mol., II, i5o ; Mich., i36.

2. Montaigne avait écrit : « Mais comme nostre esprit se fortifie par la communication des esprits vigoreux et réglez, il ne se peult dire combien il perd et s’abastardit par le continuel commerce et fréquen tation que nous avons avecques les esprits bas et maladifs : il n’est contagion qui s’espande comme celle là » (III, 8). — Voir au fr. 536 l’application que fait Pascal de ce principe à la solitude même du chrétien : « L’homme fait lui seul une conversation intérieure, qu’il importe de bien régler -.Corrompunt mores bonos colloquia prava. »