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grands géomètres, parce que la géométrie comprend un grand nombre de principes, et qu’une nature d’esprit peut être telle qu’elle puisse bien pénétrer peu de principes jusqu’au fond, et qu’elle ne puisse pénétrer le moins du monde les choses où il y a beaucoup de principes.

Il y a donc deux sortes d’esprits : l’une, de pénétrer vivement et profondément les[1] conséquences des principes, et c’est là l’esprit de justesse ; l’autre de comprendre un grand nombre de principes sans les confondre, et c’est là l’esprit de géométrie. L’un est force et droiture d’esprit, l’autre est amplitude d’esprit. Or l’un peut bien être sans l’autre, l’esprit pouvant être fort et étroit, et pouvant être aussi ample et faible[2].

  1. [Principes.]
  2. Cette pensée doit être soigneusement distinguée de la précédente, avec laquelle on a cherché à l’identifier : ici en effet l’esprit géométrique consiste à embrasser un grand nombre de principes tandis que tout à l’heure c’était l’esprit de finesse qui avait le privilège d’être ample et large. Peut-être ces deux pensées ne sont-elles pas de la même époque ; peut-être ne faut-il voir ici qu’une seconde division greffée sur la première distinction : l’esprit de géométrie devient le sens droit, et il y en a diverses sortes, l’une qui déduit rigoureusement les conséquences d’un seul principe, comme on fait en physique, ou encore en algèbre, et l’autre qui est avant tout un esprit de synthèse, qui construit dans l’espace des figures très compliquées, sans en confondre les lignes : à cette dernière Pascal réserverait maintenant la dénomination d’esprit de géométrie. Ajoutons que Pascal, ayant perfectionné la géométrie des indivisibles qui avait pour principe la considération des infiniment petits, avait le droit d’opposer la complexité de la géométrie à la simplicité relative de la physique. Pour lui en effet la physique est une science d’observation : ce sont les expériences qui en sont les seuls et les véritables principes, quitte à en suivre les effets jusqu’à leurs plus lointaines et plus surprenantes conséquences, telles que le paradoxe hydrostatique. Avec Newton et Leibniz, par la