Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/274

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inconsistant et vain. La volonté dirige secrètement l’intelli gence qui croit le guider, et notre propre intérêt a nous crève les yeux ». L’habitude suffit pour faire naître au hasard des circonstances une force intérieure qui se développe en nous, qui devient nous-mêmes : et pourtant cette nature que nous ne pouvons manquer de subir, n’a point de véritable fonde ment en nous ; sa nécessité apparente a sa racine dans les choses extérieures. ISotre vie dépend de notre condition, et notre condition dépend de quelques paroles que nous avons entendu répéter et auxquelles nous avons ajouté foi, sans même les examiner. Nous ne sommes pas un principe de vérité ; nous ne délibérons pas la fin en vue de laquelle nous agissons ; mais nous sommes poussés par la nature, et nous reflétons dans notre vie sans cesse traversée par des passions diverses, dans notre âme qui sans cesse se dément et se déchire elie-même, la diversité infinie des choses ; le cours du temps nous emporte, nous transforme, nous oppose à nous-même, si bien que nous acceptons volontiers la mort afin de conser ver les prétendus biens de la vie. Puisqu’ainsi l’intelligence croit naturellement à tout, sans jamais posséder la vérité qui est son objet, puisque la volonté aime naturellement tout, sans jamais atteindre à cette possession tranquille et assurée qui seule la satisferait, que reste-t-il à l’homme sinon de renoncer à poursuivre un but, de céder à l’agitation univer selle, d’en perdre de vue la vanité à force de rapidité et de variété, de ne rechercher la mobilité que pour la mobilité elle-même ? Le divertissement perpétuel qui nous dérobe sans cesse à nous-même, qui absorbe notre àme dans les plus fri voles et les plus stériles des occupations, est bien misérable, et c’est pourtant le plus sage. Le malheur de notre condition est tel qu’il vaut mieux pour l’homme ne pas y songer ; pour avoir quelque ombre et quelque apparence de bonheur, il lui est nécessaire d’exister hors de soi, de se créer une personne imaginaire à laquelle il sacrifie quelquefois sa personne réelle. L’homme en est réduit à se fuir lui-même, parce qu’il fuit ainsi la misère, et la pensée de la mort.

Section III. De la Nécessité du pari.

Que l’homme se détourne de soi pour ne point songer à la