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réflexions si profondes, des gens qui ont perdu, pour ainsi dire, l’usage de penser, et qui n’ont jamais fait le moindre retour sur eux-mêmes ! Ne suffit-il pas que ce soient des vérités détachées des sens, pour ne faire aucune impression sur des esprits nourris de faussetés et de chimères, qui ont ajouté une seconde corruption à la première corruption de la nature, et qui n’en connaissent pas seulement les misérables restes ? Les ramènera-t-on tout d’un coup à un point dont ils ont pris le contre-pied dès le premier pas qu’ils ont fait dans la vie ? ou pour les y ramener peu à peu, doit-on s’attendre que n’ayant de plaisir qu’à ce qui flatte leurs sens ou leur intérêt, ils en puissent prendre à se voir continuellement dire que l’ennui est leur plus grand bien, que leur plus grand mal est de se croire heureux, qu’ils n’approcheront de l’être qu’à mesure qu’ils ranimeront en eux le sentiment de leurs misères, et qu’il n’y a que des fous, ou de vrais chré tiens, qui puissent attendre la mort sans désespoir ? Que ces vérités, toutes consolantes qu’elles sont pour quelques-uns, leur paraîtront tristes et cruelles ! Qu’elles trouveront peu d’entrée dans ce violent tourbillon de choses toutes contraires, dont leur cœur est sans cesse agité, ou qu’elles y feront peu de séjour ! Il en sera tout au plus comme de ces vaines imagi nations des spectres qu’on dissipe en se passant la main sur les yeux ; et ils fermeraient plutôt le livre pour jamais, s’ils sentaient que cela pût tirer à conséquence, et qu’ils y entre vissent de loin la ruine de ce faux bonheur qui fait toute l’occupation et toute la douceur de leur vie.

Il ne serait pas mal aisé d’appliquer une partie de cela aux autres qui se croient si fort au-dessus de ceux-là, et qui leur ressemblent pourtant par le plus essentiel. Ils pensent à la vérité, ils ont envie de connaître, ils rencontrent même quel quefois, et par là ils se regardent comme une espèce d’hommes différents des autres, et les premiers leur font pitié. Mais qu’ils s’en feraient à eux-mêmes, s’ils voyaient une fois claire ment le peu de valeur de ce qui leur coûte tant de peine, et qui les amuse ; et que cela même les éloigne de le voir ! Quoique ce soient des vérités qu’ils cherchent, et que toute vérité ait son prix par la liaison qu’elle a avec la vérité essen tielle, elles sont creuses néanmoins et inutiles, si elles n’y conduisent ; et c’en est même si peu le chemin, que de s’oc