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cœur ne se soit rendu ; aussi ne le feraient-elles qu’inutile ment sans cela. Et c’est ce qui fait le mérite des bonnes actions, et la malice des mauvaises. Car tant qu’il n’y a que l’esprit qui agit, ou il juge bien ; et ce n’est que voir ce qui est, à quoi il n’y a point de mérite ; ou, s’il juge mal, il croit voir ce qu’il ne voit pas : ce qui n’est qu’une erreur de fait, qui ne saurait être criminelle. Mais dès que le cœur s’y mêle, et qu’il fait que l’esprit juge bien ou mal, selon qu’il aime, ou qu’il hait ; il arrive, ou qu’il satisfait à la loi en aimant ce qu’il doit aimer, ce qui ne peut être sans mérite ; ou qu’en aimant ce qu’il doit haïr, il viole la loi, ce qui n’est jamais excusable. C’est ce qui fait encore que Dieu ne vou lant pas qu’on arrivât à le connaître, comme on arrive aux vérités de géométrie, où le cœur n’a point de part ; ni que les bons n’eussent aucun avantage sur les méchants dans cette recherche, il lui a plu de cacher sa conduite, et de mêler tellement les obscurités et la clarté, qu’il dépendit de la dispo sition du cœur de voir, ou de demeurer dans les ténèbres. En sorte que ceux à qui il se cache ne doivent jamais rien espérer, qu’ils ne se soient mis, autant qu’ils le peuvent, dans l’état de ceux qui l’ont trouvé. Mais à peine auront-ils cessé de compter pour quelque chose ces misérables biens qu’on veut leur ôter, à peine commenceront-ils à croire que la pauvreté peut n’être pas un mal, qu’on peut aimer les outrages et les mépris, qu’il n’y a rien à fuir que d’être désa gréable à Dieu, et rien à chercher que de lui plaire ; que tout leur sera clair ; ou que, s’il leur reste quelque obscurité, il leur sera clair au moins qu’elle n’est que pour ceux qui voudront s’y arrêter.

T l a plu à Dieu, par exemple, d’envoyer son Fils unique sur la terre pour sauver les hommes, et pour y être en même temps une pierre d’achoppement et un objet de contradiction à ceux qui s’en rendraient indignes. Pouvait-il rien faire de mieux que ce qu’il a fait pour cela ? Il a voulu qu’il naquit de parents obscurs ; il lui a fait passer sa vie sans avoir où reposer sa tête ; il ne lui a donné que des gens de la lie du peuple à sa suite ; il n’a pas voulu qu’il dît un mot de science, ni de tout ce qui passe pour grand entre les hommes ; il l’a fait passer pour un imposteur ; il l’a fait tomber entre les mains de ses ennemis, trahi par un de ses disciples et aban-