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même bien des gens pour qui c’en serait déjà une grande que d’avoir pu le dire, car en effet cela ne paraîtra pas aisé à inventer à qui l’examinera de près ; il ne faut que voir ce qu’ont dit les plus habiles de ceux qui ont voulu discourir sur ce sujet, ou d’eux-mêmes, ou après avoir vu les livres de Moïse, pour juger que cela n’est pas marqué au coin des hommes. En vérité, ce ne sont pas là leurs voies, et il est étrange qu’ils ne s’en aperçoivent pas, et qu’ils ne se servent pas en cela d’une certaine finesse de discernement, dont ils usent dans toutes les autres choses. Car il n’y a personne qui ne convienne qu’à l’égard des choses qui tombent sous nos sens, nous avons en nous un certain sentiment, qui nous fait juger à l’air seulement si ce qui se présente à nos yeux est l’ouvrage de la nature ou des hommes. Que nous l’appor tions en naissant, ou qu’il vienne de la coutume, il n’importe ; jamais il ne nous trompe. Toutes les fois, par exemple, que dans une montagne d’une île inhabitée nous trouverons des degrés taillés avec quelque régularité, ou quelques caractères intelligibles gravés sur un rocher, nous ne craindrons point d’assurer qu’il y a passé des hommes avant nous, et que cela ne saurait être naturel. Cependant, avons-nous examiné ces deux infinis différents de ce que peuvent l’art et la nature, pour savoir qu’ils n’ont rien de commun ? et si nous en jugeons si bien sans cela, pourquoi ne pas étendre plus loin le principe qui nous y conduit, et ne pas discerner par ce que nous sentons en nous, et par ce que nous avons d’expé rience, que ces grandes idées sont d’un caractère tout diffé rent de ce que l’esprit humain est capable de produire ?

Mais parce que les hommes sont faits de telle sorte, que dès qu’ils sont accoutumés aux choses, ils ne peuvent presque plus juger s’ils étaient capables ou non de les imaginer, on ne prétend point qu’ils se rendent à cela. On leur permet de compter pour rien qu’il n’est point naturel que dans le dessein d’imposer aux hommes, on ait pris à tâche d’assembler ce qu’il y a de plus choquant pour la raison et pour la nature. Qu’ils croient, s’ils le peuvent, qu’il n’y a nulle impossibilité que Moïse et ceux qui l’ont suivi, ces gens si sages et si habiles d’ailleurs, aient pu avancer de leur têle une chose aussi incompréhensible que le péché originel, et qui paraît si contraire à la justice de Dieu, dont ils disent tant de mer-