Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/229

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d’autres yeux que ceux de la foi, un chaos plus confus que celui dont les païens voulaient que leurs dieux l’eussent tiré ? Pourquoi les méchants réussissent-ils presque toujours, et pourquoi ceux qui semblent justes sont-ils misérables et accablés ? Pourquoi ce mélange monstrueux de pauvres et de riches, de sains et de malades, de tyrans et d’opprimés ? Qu’ont fait ceux-là pour naître heureux, et avoir tout à souhait ; ou par où ceux-ci ont-ils mérité de ne venir au monde que pour souffrir ? Pourquoi Dieu a-t-il permis qu’il y eût tant d’erreurs, tant d’opinions, de mœurs, de cou tumes, de religions différentes ? Tout cela est encore éclairci par un petit nombre de principes qui se trouvent dans ce livre, et par ceux-ci entre autres : Que ce n’est pas ici le lieu où Dieu veut que se fasse le discernement des bons et des méchants, dont la distinction serait visible, si ceux-là étaient toujours heureux, et les autres toujours affligés ; que ce n’est pas ici non plus le lieu de la récompense ; que ce jour vien dra ; que cependant Dieu veut que les choses demeurent dans l’obscurité ; qu’il a laissé marcher les hommes dans leurs voies ; qu’il les laisse courir après les désirs de leur cœur, et qu’il ne veut se découvrir qu’à un petit nombre de gens qu’il en rendra lui-même dignes, et capables d’une véritable vertu.

N’est-ce pas encore ici en quoi ce livre est aimable et digne qu’on s’y attache ? Non seulement il est le seul qui a bien connu la misère des hommes ; mais il est aussi le seul qui leur ait proposé l’idée d’un vrai bien, et promis des remèdes apparents à leurs maux. S’il nous abat, en nous faisant voir notre état plus déplorable encore qu’il ne nous paraissait, il nous console aussi, en nous apprenant qu’il n’est pas déses péré. Il nous flatte peut-être ; mais la chose vaut bien la peine de l’expérimenter, et le bonheur qu’il promet réveille au moins nos espérances, en ce qu’il ne paraît pas certainement faux ; au lieu qu’il ne faut qu’envisager tout ce qu’on a appelé jusqu’ici vrai bien, pour en voir la fausseté. Qui n’ad mirera encore que ceux qui ont travaillé à ce livre aient pris des voies si particulières, et qu’ils se soient si fort éloignés des autres dans les remèdes qu’ils promettent aux hommes ? C’est déjà une marque qu’ils ont bien vu la faiblesse et l’inutilité de tous ceux que ^qs philosophes nous ont donnés avec tant