Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/228

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part, et qui ne sauraient produire une attache telle que doit être celle de la créature pour son auteur. Cependant quelle autre religion que la chrétienne a jamais mis dans cet amour l’essence de son culte ? Ce seul défaut suffît, ce me semble, pour les croire toutes fausses, je ne vois rien qui ait pu empêcher leurs inventeurs de s’en aviser, qu’un aveuglement surnaturel, et qui vienne de Dieu même, qui s’est voulu réserver une chose qui le distingue si visiblement.

Ce serait peu encore que ce livre fît voir clair à l’homme dans lui-même, s’il ne lui faisait voir clair dans l’ordre du monde, et s’il ne démêlait ces questions impénétrables qui ont tant tourmenté les plus grands esprits du paganisme. Pourquoi, par exemple, cette étrange diversité entre les hommes, qui sont tous de même nature ? Comment la chose du monde la plus simple, qui est l’âme, ou la pensée, peut elle se trouver si diversifiée ? S’ils la tiennent d’un Être supé rieur, pourquoi la donnet-il élevée aux uns et rampante aux autres, pleine de lumière à ceux-ci et de ténèbres à ceux-là, juste et droite à quelques-uns, et à d’autres injuste et portée au vice ; et cela avec tant de différence et de mélange de ces qualités l’une avec l’autre, et de celles mêmes qui sont oppo sées, qu’il n’y a pas deux hommes au monde qui se ressem blent, ni même un homme qui ne soit dissemblable à lui même d’un moment à l’autre ? Que si l’âme passe des pères aux enfants, comme les philosophes le croyaient, d’où peut encore venir cette diversité ? Pourquoi un habile homme en produit-il un sans esprit ? Comment un scélérat peut-il venir d’un honnête homme ? Comment les enfants d’un même père peuvent-ils naître avec des inclinations différentes ? Toutes ces difficultés ne cessent-elles pas par cette chute de la nature de l’homme, que ce livre dit être tombé de son premier état ? Et ne sont-ce pas des suites nécessaires de l’assujettissement de l’âme au corps, que l’on ne saurait concevoir que comme un châtiment, et qui la fait dépendre de la naissance, du pays, du tempérament, de l’éducation, de la coutume et d’une infinité de choses de cette nature, qui n’y devraient faire aucune impression ?

D’où vient aussi cette confusion qu’on voit dans le monde, qui a fait douter à tant de philosophes, qu’il y eût une pro \idence, et qui le fait paraître, à ceux oui le regardent par