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même de se remplir de choses qui leur en ôtent la vue : et s’ils s’en trouve quelques-uns qui s’appliquent à l’étude du cœur humain, peuvent-ils se vanter d’aller jusqu’au fond et de percer cet abîme de préjugés, de faux sentiments et de pas sions, où cette lumière est presque étouffée ?

La vérité est qu’il ne faut pas tant penser à prouver Dieu qu’à le faire sentir et que ce dernier même est le plus utile et tout ensemble le plus aisé ; et pour le sentir, il faut le cher cher dans les sentiments qui subsistent encore en nous et qui nous restent de la grandeur de notre première nature. Car enfin si Dieu a laissé de ses marques dans tous ses ouvrages, comme on n’en peut pas douter, nous les trouverons bien plutôt en nous-mêmes que dans les choses extérieures qui ne nous parlent point et dont nous n’apercevons qu’une légère superficie, exclus pour jamais d’en connaître le fond et la nature ; et s’il est inconcevable qu’il n’ait pas gravé dans ses créatures ce qu’elles lui doivent pour l’être qu’il leur a donné, ce sera bien plutôt dans son propre cœur que l’homme pourra trouver cette importante leçon que dans les choses inanimées, qui accomplissent la volonté de Dieu sans le savoir et pour qui l’être ne diffère point du néant.

Tant s’en faut donc qu’il faille s’étonner qu’on puisse trou ver Dieu par cette voie qu’une des choses du monde la plus étonnante, c’est que nous ne l’y trouvions pas ; et il n’y avait qu’un renversement pareil à celui que le péché a fait dans l’homme, qui lui put ôter le sentiment de cette présence de Dieu, que son immensité rend perpétuelle partout. Qu’il se console pourtant ; ce sceau de Dieu dans ses ouvrages est éternel et ineffaçable, et le sentiment n’en saurait être éteint, que la faculté de connaître et de sentir n’y soit détruite. Elle est faible, à la vérité, et languissante ; mais de cela même qu’elle connaît sa langueur, elle subsiste et elle peut être ré tablie. Elle le sera même tôt ou tard si elle la reconnaît sin cèrement et qu’elle en gémisse ; et elle fera trouver à l’homme, dans son propre cœur, ces traces de Dieu, qu’il chercherait en vain dans les ouvrages morts de la nature, puisqu’ils ne lui apprendraient jamais ni quel est ce Dieu ni ce qu’il demande de lui.

Voilà proprement quel était le dessein de M. Pascal : il voulait rappeler les hommes à leur cœur et leur faire commen-