Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/216

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ils savaient encore mieux le prix de ce qui leur restait de lui, que ceux qui n’en jugeaient que par conjecture, il ne faut pas douter qu’ils ne se soient sentis pressés de rendre ce dernier devoir à un homme dont la mémoire leur est si chère et de faire part au monde d’une chose qu’ils croyaient avec raison lui devoir être si utile.

Car quoique M. Pascal n’eût encore rien écrit sur ce sujet que quelques pensées détachées, qui auraient pu trouver leur place dans l’ouvrage qu’il méditait, mais qui n’en auraient fait qu’une très petite partie et qui n’en sauraient donner qu’une idée fort imparfaite, on peut dire néanmoins qu’on n’a encore rien vu d’approchant sur cette matière. Cependant on ne saurait presque prévoir de quelle manière les précieux restes de ce grand dessein seront reçus dans le monde. Quan tité de gens seront sans doute choqués d’y trouver si peu d’or dre, de ce que t out y est imparfait et de ce qu’il y a même quantité de pensées sans suite ni liaison et dont on ne voit point où elles tendent ; mais qu’ils considèrent que cequeM. Pascal avait entrepris, n’étant pas de ces choses qu’on peut dire ache vées dès qu’on en a conçu le dessein, ou de ces ouvrages dans le train ordinaire et qui sont aussi bons d’une façon que d’une autre, il y avait encore bien loin du projet à l’exécution. Ce devait être un composé de quantité de pièces et de ressorts différents, il y fallait désabuser le monde d’une infinité d’erreurs et lui apprendre autant de vérités ; enfin il y fallait parler de tout et en parler raisonnablement ; à quoi le chemin n’est guère frayé. Car en effet tout conduit à la reli gion ou tout en détourne ; et comme c’est le plus grand des desseins de Dieu ou plutôt le centre de tous ses desseins et qu’il n’a rien fait que pour Jésus-Christ, il n’y a rien dans le monde qui n’ait rapport à lui, rien dans les choses vivantes ou inanimées, rien dans les actions ou les pensées des hommes, qui ne soit des suites du péché ou des effets de la grâce et dans quoi Dieu n’ait pour but de dissiper nos ténè bres, ou de les augmenter lorsque nous les aimons. Ainsi tout pouvait entrer dans le livre de M. Pascal ; et quelque esprit qu’il eût, il aurait pu employer sa vie au seul amas de tant de matières et laisser encore bien des choses à dire. Faut-il donc s’étonner que n’y ayant donné que les quatre ou cinq dernières années de sa vie, et encore avec beaucoup d’inter-