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2e SÉRIE. III


fallu que vous ayez recherché de faire condamner Ianfenius sans l'expliquer ; & que pour, y reüssir, vous ayez fait entendre que sa doctrine n'est point celle de la grace efficace afin qu'on croye pouvoir condamner l'une sans l'autre. De là vient que vous essayez aujourd'huy de le persuader à ceux qui n'ont aucune connoissance de cet autheur. Et c'est ce que vous faites encore vous-mesme , mon Pere , dans vos Cavilli, p. 23. par ce fin raisonnement. Le Pape a condamné la doctrine de Ianfenius. Or le Pape n'a pas condamné la doctrinc de la grace efficace. Donc la doctrine de la grace efficace est differente de celle de Ianfenius. Si cette preuve etoit concluante, on monstreroit de mesme qu'Honorius & tous ceux qui le soutiennent sont heretique, en cette sorte. Le VI Concile a condamné la doctrine d'Honorius. Or le Concile n'a pas condamné la doctrine de l'Eglise. Donc la doctrine d'Honorius est differente de celle de l'Eglise. Donc tous ceux qui le deffendent sont heretiques. Il est visible que cela ne conclut rien ; puisque le Pape n'a condamné que la doctrine des cinq Propositions, qu'on luy a fait entendre estre celle de Ianfenius.


Mais il n'importe : car vous ne voulez pas vous servir long-temps de ce raisonnement. Il durera assez tout faible qu'il est pour le besoin que vous en avez. Il ne vous est necessaire que pour faire que ceux qui ne veulent pas condâner la grace efficace condamént Ianfenius sans scrupule. Quâd cela fera fait, on oubliera bien tost vostre argumét, & les signatures demeurant en temoignage eternel de la condamnation de Ianfenius, vous prendrez l'occasion pour attaquer directement la grace efficace par cet autre raisonnement bien plus solide, que vous en formerez en son temps : La doctrine de Ianfenius, direz-vous , a eté condamnée par les souscriptions universelles de toute l'Eglise : Or cette doctrine est manifestement celle de la grace efficace ; & vous prouverez cela bien facilement. Donc la doctrine de la grace efficace est condamné par l'aveü mesme de ses defenseurs. Voilà pourquoy vous proposez de signer cette condamnation d'une doctrine sans l'expliquer. Voilà l'avantage que vous prétendez tiret de ces souscriptions. Mais si vos adversaires y resistent, vous tendez un autre piège â leur refus. Car ayant joint adroitement la question de foy à celle de fait, sans vouloir permettre qu'ils l'en separent, ny qu'ils signent l'une sans l'autre; comme ils ne pourront souscrire les deux ensemble, vous irez publier, partout qu'ils ont refusé les deux ensemble. Et ainsi, quoy qu'ils ne refusent en effet que de reconuoistre que Ianfenius ait tenu ces Propositlons qu'ils condamnent, ce qui ne peut faire d'heresie, vous direz hardiment qu'ils ont refusé de condamner les Proportions en elles-mesmes, & que c'est là leur heresie. Voila le fruit que vous tirerez de leur refus , qui ne vous fera pas moins utile que celuy que vous tirerez de leur consentement. De sorte que si on exige ces signatures, ils tomberont toûjours dans vos embuches, soit qu'ils lignent, ou qu'ils ne signent pas ; & vous aurez vostre compte de part ou d'autre : tant vous avez eü d'addresse à mettre les choses en estat de vous estre toujours avantageuses, quelque pente qu'elles puissent prendre.


Que je vous connois bien, mon Pere ; & que j'ay de regret de voir que Dieu vous abandonne jusu'a vous faire reussir si heureusement dans une conduite si malheureuse! Vostre bonheur est digne de compassion, & ne peut etre envié que par ceux qui ignorent quel est le veritable bonheur. C'est estre charitable que de traverser celuy que vous recherchez en toute cette conduite ; puisque vous ne l'appuyez que sur le mensonge, & que vous ne tendez qu'a faire croire l'une de ces deux faussetez ; ou que l'Eglife a condamné la grace efficace ; ou que ceux qui la deffendent, soutiennent les cinq erreurs condamnées, il faut donc apprendre à tout le monde, & que la grace efficace n'est pas condamnée par vostre propre aveü; & que personne ne soûtient ces erreurs ; afin qu'on sçache que ceux qui refuseroient de signer ce que vous voudriez qu'on exigeast d'eux , ne le refusent qu'a cause de la question de fait ; & qu'estant prests à signer celle de foy, ils ne sçauroient estre heretiques par ce refus; puisqu'enfin il est bien de foy que ces Propositîons sont heretiques ; mais qu'il ne fera jamais de foy qu'elles soient de Ianfenius. Ils sont sans erreur ; cela suffit. Peut-estre interpretent-ils Ianfenius trop favorablement ; mais peut-etre ne l'interpretez-vous pas assez favorablement. Je n'entre pas là dedans. Je sçay au moins que selon vos maximes vous croyez pouvoir sans crime publier qu'il est heretique contre vostre propre connoissance; au lieu que selon les leurs, ils ne pourroient sans crime dire qu'il est catholique , s'ils n'en estoient persuadez. Ils sont donc plus sinceres que vous , mon Pere : ils ont plus examiné Ianfenius que vous : il ne sont pas moins intelligens que vous : ils ne sont donc pas moins croyables que vous. Mais quoy qu'il en soit de ce point de fait, ils sont certainement catholiques; puisqu'il n'est pas necessaire pour l'estre de dire qu'un autre ne l'est pas; & que sans charger personne d'erreur , c'est assez de s'en décharger soy-mesme.


Mon R. P. si vous avez peine à lire cette lettre, pour n'etre pas en assez beau caractere, ne vous en prenez qu'à vous-même. On ne me donne pas des privileges comme à vous. Vous en aurez pour combattre jusqu'aux miracles, je n'en ay pas pour me defendre. On court sans cesse les imprimeries. Vous ne me conseilleriez pas vous-mêmes de vous écrire davantage dans cette difficulté. Car c'est un trop grand embaras d'etre reduit a l'impression d'Osnabruck.


DIX-SEPTIÈME PROVINCIALE, PAGE 8.
(FAC-SIMILÉ RÉDUIT.)