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QUATORZIÈME PROVINCIALE


le déreglement des hommes leur a fait aimer ce faux honneur plus que la vie que Dieu leur a donnée pour le servir, il leur sera permis de tuer pour le conserver ? C’est cela mesme qui est un mal horrible, d’aimer cét honneur là plus que la vie. Et cependant cette attache vitieuse, qui seroit capable de soüiller les actions les plus saintes, si on les rapportoit à cette fin, sera capable de justifier les plus criminelles, parcequ’on les rapporte à cette fin? Quel renversement, mes Peres ; et qui ne voit à quels excés il peut conduire ?

Car enfin il est visible, qu’il portera jusqu’à tuer pour les moindres choses, quand on mettra son honneur à les conserver ; je dis mesme jusqu’à tuer pour une pomme. Vous vous plaindriez de moy, mes Peres, et vous diriez que je tire de vostre doctrine des consequences malicieuses, si je n’estois appuyé sur l’autorité du grave Lessius, qui parle ainsi n. 68¹. Il n’est pas permis de tuer pour conserver une chose de petite valeur, comme pour un escu, OU POUR UNE POMME, AUT PRO POMO ; si ce n’est qu’il nous fust honteux de la perdre. Car alors on peut la reprendre, et mesme tuer s’il est necessaire pour la ravoir, Et si opus est, occidere ; parceque ce n’est pas tant defendre son bien que son honneur. Cela est net, mes Peres. Et pour finir vostre doctrine par une maxime qui comprend toutes les autres, écoutez celle-cy de vostre P. Hereau, qui l’avoit prise de


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1. Cf. ce texte de Leys, supra T. V, p. 61 sq.