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ŒUVRES

maistre, que celuy par lequel cét homme se trouvoit Roy. Vous n’y avez aucun droit de vous mesme et par vostre nature non plus que luy : et non seulement vous ne vous trouvez fils d’un Duc, mais vous ne vous trouvez au monde que par une infinité de hazards. Vostre naissance dépend d’un mariage, ou plustot de tous les mariages de ceux, dont vous descendez. Mais ces mariages d’où dépendent-ils ? d’une visite faite par rencontre, d’un discours en l’air, de mille occasions impreveuës.

Vous tenez, dites-vous, vos richesses de vos ancestres ; mais n’est-ce pas par mille hazards que vos ancestres les ont acquises et qu’ils les ont conservées[1] ? Vous imaginez-vous aussi que ce soit par quelque loy naturelle que ces biens ont passé de vos ancestres à vous ? Cela n’est pas veritable. Cet ordre n’est fondé que sur la seule volonté des legislateurs qui ont pû avoir de bonnes raisons ; mais dont aucune n’est prise d’un droit naturel que vous ayez sur ces choses. S’il leur avoit plu d’ordonner que ces biens aprés avoir esté possedez par les Peres durant leur vie, retourneroient à la republique apres leur mort, vous n’auriez aucun sujet de vous en plaindre.

Ainsi tout le titre par lequel vous possedez vostre bien, n’est pas un titre de nature, mais d’un establissement humain. Un autre tour d’imagination dans ceux qui ont fait les loix, vous auroit rendu pauvre ; et ce n’est que cette rencontre du hazard qui vous a fait naistre avec la fantaisie[2] des loix favorables à vostre égard qui vous met en possession de tous ces biens.

  1. Les éditions postérieures ajoutent : Mille autres, aussi habiles qu’eux, ou n’en ont pu acquérir, ou les ont perdues après les avoir acquises.
  2. Cf. Pensées, fr. 310 bis. T. II, p. 233 : « Obeissance — de fantaisie. »