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76 OEUVRES

qui fait souvent que je prefere mon repos à leurs besoins, faute de les connoistre ou de les vouloir soulager.

Je vous dis la verité ; voilà naïvement ce qui en est. Je vous avouë que l’ouverture de cœur qui doit estre entre nous, m’a souvent donné du scrupule sur le secret que je gardois avec vous en cela, pendant que vous estiez icy, et que vous me demandiez si souvent quel employ j’avois ; et j’avois mesme escrit sur mon agenda pour sçavoir de la Mere Agnes si je ne vous devois pas cette confidence ; mais Dieu a permis que je l’aye tousjours oublié. Cela a fait que je n’y ay plus pensé depuis que vous estes partie. Je n’en ay rien dit non plus à mon frere. S’il le sçait, c’est comme vous, par d’autres que par moy. Il y a un grand advantage en cet employ, en ce que sa principale obligation consiste à faire connoistre Dieu aux autres, et à leur inspirer et leur imprimer sa crainte et son amour ; mais vous avouërez qu’il y a aussi un grand danger, par ce qu’il est bien difficile de parler de Dieu comme de Dieu 1 , et qu’il est bien dangereux de donner aux autres de sa disette, au lieu de son abondance. Priez Dieu qu’il regarde mes deux deniers comme les grandes aumosnes des riches, et qu’il me fasse la grace de m’instruire moy-mesme en instruisant les autres. Adieu, ma chere sœur, je suis toute à vous en N.-S.,


SŒUR EUPHEMIE, religieuse indigne.

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1. Cf. Pensées, fr. 799, T. III, p. 237: « Un artisan qui parle des richesses, un procureur qui parle de la guerre, de la royauté, etc. ; mais le riche parle bien des richesses, le Roy parle froidement d’un grand don qu’il vient de faire, et Dieu parle bien de Dieu. » — Cf. aussi ce qu’Etienne Perier dans la Préface des Pensées nous dit de l’admiration que Pascal éprouvait devant la naïveté de l’Evangile, ibid. T. I, p. XCII.