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l’un et l’autre qu’il luy seroit bon de faire un voïage à la campagne pour estre plus à soy qu’il n’estoit à cause du retour de son bon amy (vous sçavez qui je veux dire) 1 qui l’occupoit tout entier. Il luy confia ce secret, et avec son consentement qui ne fut pas donné sans larmes, il partit le lendemain de la feste des Roys avec M. de Luines pour aller en l’une de ses maisons, où il a esté quelque tems. Mais, parce qu’il n’estoit pas là assez seul à son gré, il a obtenu une chambre ou cellule parmi les solitaires de Port-Royal d’où il m’a escrit avec une extreme joye de se voir traitté et logé en prince, mais en prince au jugement de Saint Bernard, dans un lieu solitaire et où l’on fait profession de pratiquer la pauvreté en tout où la discretion le peut permettre. Il assiste à tout l’office depuis Prime jusqu’à Complies, sans qu’il sente la moin-

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rapports de Singlin et de Pascal. « [M. Pascal] vint à Paris, et se jetta entre les bras de Monsieur Singlin, comme un enfant humble et soumis, resolu de faire tout ce qu’il luy ordonneroit. Monsieur Singlin rendit graces à Dieu des sentimens pleins de christianisme qu’il trouva en luy, et de la docilité sans reserve qu’il luy temoigna. Mais il crut qu’il seroit plus convenable, et plus utile pour luy, de l’envoier à Port-Royal des Champs, et il ecrivit en mesme tems à Monsieur de Saci de vouloir bien se charger de sa conduite. Depuis ce tems-là Monsieur Pascal conçut une si grande estime pour M. Singlin, qu’outre qu’il luy ecrivoit autant de fois qu’il le pouvoit, il ne manquoit jamais non plus l’occasion de le voir et de l’entretenir, quand il pouvoit la trouver. Il poussa si loin son estime pour luy, à cause de la solidité de son jugement, qu’il ne faisoit nulle difficulté de luy lire tous les ecrits qu’il estoit chargé de composer, qu’il l’en rendoit juge, et qu’il estoit extremement rare qu’il ne se rendist pas à ses avis, parce qu’il les trouvoit presque toujours conformes au vray qui a esté l’unique but que s’est proposé Monsieur Pascal dans toutes ses recherches et toutes ses estudes. »

1. « M. de Roannez » (note du P. Guerrier). — Le duc de Luynes, dont il est question un peu plus loin, était dirigé par Singlin ; il demeurait au château de Vaumurier, à proximité de l’abbaye de Port-Royal des Champs.