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ENTRETIEN AVEC SACI 53

de ces deux vices, l’orgueil et la paresse 1 , où sont infailliblement tous les hommes avant la grace, puisque, s’ils ne demeurent dans leurs desordres par lacheté, ils en sortent par vanité, tant il est vray ce que vous venez de me dire de Saint Augustin, et que je trouve d’une grande etendue [...] 2 car en effet on leur rend hommage en bien des manieres.

« C’est donc de ces lumieres imparfaites qu’il arrive que l’un, connoissant le devoir de l’homme et ignorant son impuissance, se perd dans la presomption, et que l’autre, connoissant l’impuissance et non le devoir, il s’abat dans la lacheté ; d’où il semble, puisque l’un est la verité où l’autre est l’erreur 3 , que l’on formeroit en les alliant une morale parfaite. Mais, au lieu de cette paix, il ne resulterait de leur assemblage qu’une guerre et qu’une destruction generale : car l’un establissant la certitude, l’autre le doute, l’un la grandeur de l’homme, l’autre sa foiblesse, ils ruynent la verité aussi bien que la fausseté l’un de l’autre. De sorte qu’ils ne peuvent subsister seuls à cause de leurs defauts, ny s’unir à cause de leurs oppositions, et qu’ainsi ils se brisent et s’aneantissent pour faire place à la verité de l’Evangile. C’est elle qui accorde les contrarietez par un art tout divin, et, unissant tout ce qui est de vray et chassant tout ce qui est de faux, elle en fait une sagesse veritablement celeste où s’accordent ces opposez, qui estoient incompatibles

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1. Cf. Pensées, fr. 435, T. II, p. 352.

2. Il semble bien qu’il y ait ici une lacune, quoiqu’aucun des manuscrits ne la signale. T. interprète comme il suit : « Ainsi ils sont toujours esclaves des esprits de malice, à qui, comme le remarque St-Augustin, on sacrifie »

3. Ce texte a été très heureusement restitué par M. Bédier ; les diverses leçons des manuscrits sont inacceptables : puisque l’un est [a ; conduit à] la vérité , l’autre [à] l’erreur.