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48 ŒUVRES

ger en dormant : ces viandes imaginaires les laissent aussi vuides qu’ils estoient 1 . »

M. de Sacy dit à M. Pascal plusieurs choses semblables : sur quoy M. Pascal luy dit que s’il luy faisoit compliment de bien posseder Montaigne et de le sçavoir bien tourner, il pouvoit luy dire sans compliment qu’il possedoit bien mieux Saint Augustin, et qu’il le sçavoit bien mieux tourner, quoy que peu avantageusement pour le pauvre Montaigne. Il luy tesmoigna estre extremement edifié de la solidité de tout ce qu’il venoit de luy representer ; cependant estant encore tout plein de son autheur, il ne put se retenir et luy dit :

« Je vous avouë, Monsieur, que je ne puis voir sans joye dans cet autheur la superbe raison si invinciblement froissée par ses propres armes 2 , et cette revolte si sanglante de l’homme contre l’homme, qui, de la societé avec Dieu, où il s’elevoit par les maximes de sa faible raison, le precipite dans la nature des bestes 3 ; et j’aurois aimé de tout mon cœur le ministre d’une si grande vengeance, si, estant disciple de l’Eglise par la foy, il eust suivi les regles de la morale, en portant les hommes,

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1 . Confessions, I. V. c. 6 : Jam ergo abs te didiceram, nec eo debere videri aliquid verum dici, quia eloquenter dicitur..... sed perinde esse sapientiam et stultitiam, sicut sunt cibi utiles et inutiles ; verbis autem ornatis et inornatis, sicut vasis urbanis et rusticanis, utrosque cibos posse ministrari. — Ibid. I. III. c. 6. Cibus in somnis simillimus est cibis vigilantium, quo tamen dormientes non aluntur, dormiunt enim.

2. Essais, II, XII, p. 321 : « Le moyen que je prens pour rabattre cette frenesie, et qui me semble le plus propre, c’est de froisser et fouler aux pieds l’orgueil et l’humaine fierté : leur faire sentir l’inanité, la vanité et deneantise de l’homme : leur arracher des poings les chetives armes de leur raison : leur faire baisser la teste et mordre la terre, sous l’authorité et reverence de la majesté divine »

3. Cf. Pensées, fr. 430, T. Il, pp. 328-329.