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ENTRETIEN AVEC SACI 39

tous ses Essais ; et c’est la seule chose qu’il pretend bien etablir, quoy qu’il ne fasse pas toujours remarquer son intention. Il y detruit insensiblement tout ce qui passe pour le plus certain parmi les hommes, non pas pour establir le contraire avec une certitude de laquelle seule il est ennemy, mais pour faire voir seulement que, les apparences estant egales de part et d’autre 1 , on ne sçait où asseoir sa creance 2 .

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paraison de la médecine, sans laquelle leur humeur seroit inexplicable. Quand ils prononcent, J’ignore, ou, Je doute, ils disent que cette proposition s’emporte elle-mesme quant et quant le reste : ny plus ny moins que la rubarbe, qui pousse hors les mauvaises humeurs, et s’emporte hors quant et quant elle-mesme. Cette fantasie est plus seurement conceuë par interrogation : Que sçay-je ? comme je la porte à la devise d’une balance. » — En tête de l’édition de 1652, au-dessous du portrait de Montaigne, est figurée une balance, avec ces mots : que scay-je ?

1. Essais, II, XII, p. 366 : « Leurs façons de parler [des Pyrrhoniens] sont : Je n’establis rien. Il n’est non plus ainsi qu’ainsin, ou que ny l’un ny l’autre. Je ne le comprens point. Les apparences sont esgales par tout.... »

2. Essais, II, XII, p. 365: « Ils debattent d’une bien molle façon. Ils ne craignent point la revenche à leur dispute. Quand ils disent que le poisant va contrebas, ils seroient bien marris qu’on les en creust ; et cherchent qu’on les contredie, pour engendrer la dubitation et surscance de jugement, qui est leur fin. Ils ne mettent en avant leurs propositions, que pour combatre celles qu’ils pensent, que nous ayons en nostre creance. Si vous prenez la leur, ils prendront aussi volontiers la contraire à soustenir : tout leur est un : ils n’y ont aucun choix. Si vous establissez que la neige soit noire, ils argumentent au rebours, qu’elle est blanche. Si vous dites qu’elle n’est ny l’un, ny l’autre, c’est à eux à maintenir qu’elle est tous les deux. Si par certain jugement, vous tenez, que vous n’en sçavez rien, ils vous maintiendront que vous le sçavez. Oûy, et si par un axiome affirmatif vous asseurez que vous en doutez, ils vous iront debattant que vous n’en doutez pas : ou que vous ne pouvez juger et establir que vous en doutez. Et, par cette extremité de doute, qui se secoue soy-mesme, ils se separent et se divisent de plusieurs opinions, d’entre celles mesmes qui ont maintenu en plusieurs façons, le doute et l’ignorance. »