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ENTRETIEN AVEC SACI 37

quand on est si persecuté qu’on doit croire que Dieu nous appelle 1, et d’autres encore.

« Pour Montaigne, dont vous voulez aussi, Monsieur, que je vous parle, estant né dans un Estat chretien, il fait profession de la religion catholique, et en cela il n’a rien de particulier. Mais comme il a voulu chercher quelle morale la raison devroit dicter sans la lumiere de la foy, il a pris ses principes dans cette supposition ; et ainsi en considerant l’homme destitué de toute revelation 2 , il discourt en cette sorte. Il met toutes choses dans un doute universel et si general, que ce doute s’emporte soy-mesme, c’est-à-dire 3 [qu’il doute] s’il doute, et doutant mesme de cette derniere supposition, son incertitude roule sur elle-mesme dans un cercle perpetuel et sans repos ; s’opposant egalement à ceux qui asseurent que

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lement contraire à ce qui est en vostre puissance, vous ne tomberez jamais en rien qui soit que vous fuyez. Que si vous fuyez la maladie, la mort, ou la pauvreté, vous serez mal’heureux. »

1. Propos, liv. I, ch 24, p. 114 : « .... Mais souvenez-vous du principal. Que la porte est ouverte. Ne soyez pas plus peureux que les petits enfans : car quand le jeu vient à leur desplaire, ils disent, Je ne veux plus jouer. Ainsi quand le jeu vous ennuyera, dites, Je ne veux plus jouër, et vous retirez.... » (Note marginale du traducteur : « Il veult dire qu’il est permis de se tuer : en quoy la doctrine des Stoïciens repugne à la loy chrestienne.... »)

2. D’une étude publiée par M. Ant. Uhlîf dans la Revue d’Histoire Littéraire de la France, juillet-septembre 1907, p. 442 à 454, il résulte que Pascal a lu Montaigne dans l’édition de 1652. C’est cette édition que nous suivons pour nos références. — Essais, II, XII, p. 322 : « Considerons donc pour cette heure l’homme seul, sans secours estrangier, armé seulement de ses armes, et despourveu de la grace et cognoissance divine qui est son honneur, sa force, et le fondement de son estre ».

3. Correction proposée par M. Pierre Villey. Ces mots ne se trouvent dans aucun manuscrit; mais la correction semble nécessaire, et l’erreur du copiste s’expliquerait aisément.