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ENTRETIEN AVEC SACI 35

« Voilà, Monsieur, dit M. Pascal à M. de Sacy, les lumieres de ce grand esprit qui a si bien connu les devoirs de l’homme. J’ose dire qu’il meriteroit d’estre adoré, s’il avoit connu son impuissance, puisqu’il falloit estre Dieu pour apprendre l’un et l’autre aux hommes. Aussi comme il estoit terre et cendre 1, apres avoir si bien compris ce qu’on doit, voicy comment il se perd dans la presomption de ce qu’on peut. Il dit que Dieu a donné à l’homme les moyens de s’acquiter de toutes ses obligations ; que ces moyens sont en nostre puissance 2 ; qu’il faut chercher la felicité par les choses qui sont en nostre pouvoir 3 , puisque Dieu nous les a données à cette fin ; qu’il faut voir ce qu’il y a en nous de libre; que les biens, la vie, l’estime ne sont pas en nostre puissance, et ne menent donc pas à Dieu 4 ; mais que l’esprit ne peut estre forcé de croire ce qu’il sçait estre faux 5 , ny la vo-

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1. Ecclesiastic. XVII, 31 : .. et omnes homines terra et cinis.

2. Propos d’Epictete, liv. I, ch. 6, p. 35 : « Dieu ne nous a pas donné seulement ces puissances, par le moyen desquelles nous pourrons supporter tout ce qui nous sçauroit advenir sans perdre courage et sans nous avilir, mais aussi comme un bon Roy et vray pere, il nous a mis cela tout entier en nostre puissance, sans pouvoir estre empesché ni forcé, et n’a laissé le pouvoir à personne de le contraindre ni violenter. »

3. Propos, liv. I, ch. I, p. 7 : « Bel enseignement pour vivre bienheureux [résumé marginal] : Que faut-il faire ? Il faut tascher de bien disposer les choses qui sont en nostre puissance, et les rendre tres-bonnes, et se servir des autres comme il eschet. »

4. Manuel, ch. 1 : « Le corps, les possessions, la reputation, les estats, et les dignitez : pour faire court, tout ce qui n’est point de nostre fait, n’est point en nostre puissance. Ce qui est en nostre puissance de sa nature est libre, et ne peut estre empesché ni defendu. »

5. Propos, liv. I, ch. 17, p. 87 : « Y a-t’il aucun qui vous puisse forcer de donner vostre consentement à ce qui est vray ? Personne. Y a-t’il aucun qui vous puisse contraindre d’admettre le mensonge ? Personne. Vous voyez donc bien que vous avez une election qui ne peut estre empeschée, contrainte, ni forcée. »