Page:Œuvres de Blaise Pascal, IV.djvu/136

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moins de lumiere que les nouveaux, il s’y tenoit, et estimoit beaucoup M. Pascal de ce qu’il se rencontrait en toutes choses avec Saint Augustin.

La conduitte ordinaire de M. de Sacy, en entretenant les gens, estoit de proportionner ses entretiens à ceux à qui il parloit. S’il voyoit par exemple M. Champaigne, il parloit avec luy de la peinture. S’il voyoit M. Hamon, il l’entretenoit de la medecine. S’il voyoit le chirurgien du lieu, il le questionnoit sur la chirurgie. Ceux qui cultivoient la vigne, ou les arbres, ou les grains, luy disoient tout ce qu’il y falloit observer. Tout luy servoit pour passer aussitost à Dieu, et pour y faire passer les autres. Il crut donc devoir mettre M. Pascal sur son fonds, et luy parler des lectures de philosophie dont il s’occupoit le plus. Il le mit sur ce sujet aux premiers entretiens qu’ils eurent ensemble. M. Pascal luy dit que ses livres les plus ordinaires avoient esté Epictete et Montaigne, et il luy fit de grands eloges de ces deux esprits. M. de Sacy, qui avoit toujours crû devoir peu lire ces autheurs, pria M. Pascal de luy en parler à fond.

« Epictete, luy dit-il, est un des philosophes du monde qui ait mieux connu les devoirs de l’homme. Il veut, avant toutes choses, qu’il regarde Dieu comme son principal objet ; qu’il soit persuadé qu’il gouverne tout avec justice ; qu’il se soumette à luy de bon cœur, et qu’il le suive volontairement en tout, comme ne faisant rien qu’avec une tres-grande sagesse : qu’ainsi cette disposition arrestera toutes les plaintes et tous les murmures, et preparera son esprit à souffrir paisiblement tous les evenemens les plus facheux[1]. Ne dites jamais, dit

  1. M. Strowski (Pascal et son temps, 1907, T. II, p. 322 sqq.), a établi de façon incontestable que Pascal a cité Épictète d’après la tra-