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ŒUVRES

enfin il fit des demonstrations parfaites ; et comme l’on va de l’un à l’autre dans cette science, il poussa ses recherches si avant, qu’il en vint jusqu’à la 32. proposition du premier livre d’Euclide.

Comme il en estoit là dessus, Monsieur son pere entra par hazard dans le lieu ou il estoit, et le trouva si fort appliqué qu’il fut long temps sans s’appercevoir de sa venüe. On ne peut dire lequel fut le plus surpris, ou du fils de voir son pere, à cause de la deffense expresse qu’il luy avoit faite, ou du pere de voir son fils au milieu de toutes ces figures. Mais la surprise du pere fut bien plus grande lors que luy ayant demandé ce qu’il faisoit, il luy dit qu’il cherchoit telle chose qui estoit justement la 32. proposition du premier livre d’Euclide. Il luy demanda ensuite ce qui l’avoit fait penser a cela, et il respondit que c’estoit qu’il avoit trouvé telle autre chose ; et ainsi en retrogradant, et s’expliquant toûjours par les noms de barre et de rond, il en vint jusqu’aux definitions et aux axiomes qu’il s’estoit formez.

Monsieur Pascal le pere fut tellement épouvanté de la grandeur et de la force du genie de son fils qu’il le quitta sans luy pouvoir dire un mot, et il alla sur l’heure chez Monsieur le Pailleur son amy intime, qui estoit aussi tres habile dans les Mathematiques. Lors qu’il y fut arrivé, il y demeura immobile, comme un homme transporté. Monsieur le Pailleur voyant cela, et s’appercevant mesme qu’il versoit quelques larmes, en fut tout effrayé, et le pria de ne luy pas celer plus longtemps la cause de son déplaisir. Je ne pleure pas, luy dit Monsieur Pascal, d’affliction, mais de joye : Vous sçavez les soins que j’ay pris pour oster a mon fils la connoissance de la Geometrie, de peur de le détourner de ses autres estudes ; cependant voyez ce qu’il a fait. Sur cela il luy conta tout ce que je viens de dire, et luy dit tout ce que son fils avoit trouvé de luy mesme. Monsieur le Pailleur n’en fut pas moins surpris que le pere mesme, et luy dit qu’il ne trouvoit pas juste de captiver plus long temps cet esprit et de luy cacher ces sciences ; qu’il falloit luy laisser voir les livres qui en trait-