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ŒUVRES

ayme, devient libéral ; et il ne se souvient pas d’avoir jamais eu une habitude opposée. L’on en voit la raison en considérant qu’il y a des passions qui resserrent l’ame et qui la rendent immobile, et qu’il y en a qui l’agrandissent et la font répandre au dehors.

L’on a osté mal à propos le nom de raison à l’amour, et on les a opposez sans un bon fondement, car l’amour et la raison n’est[1] qu’une mesme chose. C’est une précipitation de pensées qui se porte d’un costé sans bien examiner tout, mais c’est tousjours une raison, et l’on ne doit et on ne peut[2] souhaitter que ce soit autrement, car nous serions des machines très désagréables[2]. N’excluons donc point la raison de l’amour, puisqu’elle en est inséparable.

Les Poettes n’ont donc pas eu raison de nous dépeindre l’amour comme un aveugle ; il faut luy oster son bandeau, et luy rendre désormais la jouissance de ses yeux.

Les âmes propres à l’amour demandent une vie d’action qui eclatte en événements nouveaux. Comme le dedans est mouvement, il faut aussy que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. C’est de là que ceux de la cour sont mieux receus dans l’amour que ceux de la ville, par ce que les uns sont tout de feu, et que les autres mènent une vie dont l’uniformité n’a rien

  1. G : que la mesme chose.
  2. a et b C : pas souhaitter.