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DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR

A force de parier d'amour[1], l'on devient amoureux ; il n'y a rien si aysé, c'est la passion la plus naturelle à l'homme[2].

L'amour n'a point d'aage ; il est tousjours naissant. Les Poettes nous l'ont dit ; c'est pour cela qu'ils nous le représentent comme un enfant. Mais sans[3] leur rien demander, nous le sentons.

L'amour donne de l'esprit, et il se soustient par l'esprit. Il faut de l'addresse pour aymer. L'on épuise tous les jours les manières de plaire ; cependant il faut plaire, et l'on plaist.

Nous avons une source d'amour propre qui nous représente à nous[4] mesme comme pouvant remplir plusieurs places au dehors ; c'est ce qui est cause que nous sommes[5] bien ayses d'être aymez. Comme on le souhaitte avec ardeur, on le remarque bien viste, et[6] on le reconnoist dans les yeux de la personne qui ayme; car les yeux sont les interprettes du cœur, mais il n'y a que celuy qui y a interest qui entend leur langage.

L'homme seul est quelque chose d'imparfait ; il


    c'est-à-dire avec la légitimité, avec la convenance de leur cause. Il est à remarquer que Descartes lui-même écrit : « Et mesme souvent une fausse joye vaut mieux qu'une tristesse dont la cause est vraye. » Les Passions de l'Ame, Partie II, Art. CXLII.)

  1. C : on.
  2. La Rochefoucauld interprète autrement le même fait : « Il y a des gens qui n'auroient jamais esté amoureux, s'ils n'avoient jamais entendu parler de l'amour. » (Max. 136.)
  3. C : luy.
  4. C : mesmes.
  5. bien omis dans G.
  6. G : l'on se.