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DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR

par l'amour et qu'elle finit par l'ambition[1] ! Si j'avois à en choisir une, je prendrois celle là. Tant que l'on a du feu, l'on est aymable; mais ce feu s'esteint, il se perd : alors, que la place est belle et grande pour l'ambition[2]  ! La vie tumultueuse est agréable aux grands esprits, mais ceux qui sont médiocres n'y ont aucun plaisir; ils sont machines par tout. C'est pourquoy, l'amour et l'ambition commençant et finissant la vie, on est dans l'estat le plus heureux dont la nature humaine est cappable.

A mesure que l'on a plus d'esprit, les passions sont plus grandes, par ce que les passions n'estant que des sentimens et des pensées, qui appartiennent purement à l'esprit, quoy qu'elles soient occasionnées[3] par le corps, il est visible qu'elles ne sont plus que l'esprit mesme, et qu'ainsy elles remplissent toutte sa capacité. Je ne parle que des passions de

  1. M. Michaut, dans son édition du Discours, Paris, 1900, p. 3, signale ce texte de La Bruyère {Du cœur), 76 : « Les hommes commencent par l'amour, finissent par l'ambition... »
  2. La Rochefoucauld dit (Max. 490) : « On passe souvent de l'amour à l'ambition, mais on ne revient guère de l'ambition à l'amour. » Cf. Michaut, éd. cit., p. 4, n. 1.
  3. Il est remarquable que ce soit ce terme d'occasion, destiné à faire fortune avec Malebranche, que Pascal ait employé pour traduire les rapports du corps et de l'âme dans la passion, tels qu'il les trouvait définis dans les Passions de l'Ame, 1649 : « Apres avoir considéré en quoy les passions de l'ame différent de toutes ses autres pensées, il me semble qu'on peut generallement les définir des perceptions, ou des sentiments, ou des émotions de l'ame, qu'on rapporte particulièrement à elle, et qui sont causées, et entretenues, et fortifiées par quelque mouvement des esprits. » {Première partie, §§ XXVII.) M. Michaut, dans ses notes, a insisté également sur le rapport constant du Discours au Traité de Descartes.