Page:Œuvres de Blaise Pascal, I.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
BLAISE PASCAL

comme il n’avoit point d’autre fils que celuy là, cette qualité de fils unique, et les autres qu’il reconnoissoit en cet enfant, luy donnerent une si grande affection pour luy, qu’il ne put se resoudre de commettre son education à un autre, et se resolut des lors de l’instruire luy mesme, comme il a fait ; mon frere n’ayant jamais esté en un college, et n’ayant jamais eu d’autre maistre que mon pere.

En l’année 1631, mon pere se retira à Paris, où il nous mena tous, et y establit sa demeure. Mon frere, qui n’avoit alors que huit ans, receut un grand avantage de cette retraitte, dans le dessein que mon pere avoit de l’eslever ; car il est sans doute qu’il n’auroit pas pu prendre le mesme soin dans la Province où l’exercice de sa charge et les compagnies continuelles qui abordoient chez luy l’auroient beaucoup destourné ; mais, comme il estoit à Paris dans une entiere liberté, il s’y appliqua tout entier ; et il eut tout le succez que pouvoient avoir les soins d’un pere aussi intelligent et affectionné qu’on le puisse estre.

Sa principale maxime dans cette education estoit de tenir cet enfant au-dessus de son ouvrage ; c’estoit pour cette raison qu’il ne voulut point lui apprendre le latin qu’il n’eust douze ans, afin qu’il le fist avec plus de facilité. Durant cet intervalle il ne le laissoit pas inutile ; car il l’entretenoit de toutes les choses dont il le voioit capable. Il luy faisoit voir en general ce que c’estoit que les langues ; il lui montra comme on les avoit reduittes en grammaires sous de certaines regles ; que ces regles avoient encore des exceptions qu’on avoit eu soin de remarquer : et qu’ainsi on avoit trouvé moyen par là de rendre toutes les langues communiquables d’un pays à un autre. Cette idee generale luy debrouilloit l’esprit, et luy faisoit voir la raison des regles de la grammaire ; de sorte que, quand il vint à l’apprendre, il savoit pourquoy il le