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sçavoient remettre les membres rompus ou desmis ; et comme ils avoient beaucoup d’esprit et d’honneur, ils avoient des leur jeunesse estudié l’anatomie et la medecine, pour ne point hasarder, en se fiant à leur industrie naturelle, de faire quelque faute. Quand ces deux Messieurs eurent resolu de se donner entierement à Dieu, ils firent bastir chacun un petit hospital au bout de leur parc, dans leurs terres, qui se touchoient, M. Deslandes, qui avoit dix enfans, mit dix lits dans son hospital, et M. de la Bouteillerie qui n’avoit point d’enfans, en mit vingt. Ils recevoient dans les trente lits tous les pauvres qui se presentoient, et les traitoient charitablement de toutes sortes de maladies, estant bons chirurgiens et bons medecins ; mais ils preferoient ceux qui avoient besoin de leurs services pour remettre des membres.

Dans ce temps là, il arriva qu’on vint avertir un jour mon grand pere qu’il y avoit des gentilshommes dans un fauxbourg de Rouën, qui s’estoient donné un signal pour se battre en duel : mon grand pere en mesme temps voulut y aller ; mais ne pouvant y aller en carrosse, parce que toute la ville n’estoit qu’une glace et que ses chevaux n’estoient point ferrez à glace, il hasarda d’aller à pied. En y allant, il tomba et se desmit la cuisse. Il se fit apporter chez luy, et en mesme temps envoya chez M. Deslandes, pour se mettre entre ses mains et de M. son frère. Ces messieurs se trouverent absens et à dix lieues de Rouën. Ce pendant mon grand pere, qui estoit leur amy et qui avoit confiance en eux, ne voulut point que d’autres le touchassent. Il les envoya querir à dix lieues. Tous ces retardemens furent cause que cette dislocation fut tres difficile à remettre et obligea ces messieurs qui le remirent neanmoins tres bien à demeurer trois mois chez mon grand pere ne voulant point que per-