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JACQUELINE PASCAL

gion, aussytost que nos partages seroient faits, mais qu’elle espargneroit mon frere, en luy faisant accroire qu’elle y alloit faire seulement une retraite. Elle disposa toutes choses pour cela en ma presence ; nos partages furent signez le dernier jour de decembre, et elle prit jour pour entrer le 4 janvier.

La veille de ce jour-là, elle me pria d’en dire quelque chose à mon frere le soir, afin qu’il ne fust pas si surpris. Je le fis avec le plus de precaution que je pus ; mais quoy que je luy disse, que ce n’estoit qu’une retraite pour connoistre un peu cette sorte de vie, il ne laissa pas d’en estre fort touché. Il se retira donc fort triste dans sa chambre, sans voir ma sœur qui estoit lors dans un petit cabinet où elle avoit accoutumé de faire sa priere. Elle n’en sortit qu’apres que mon frere fut hors de la chambre, parce qu’elle craignoit que sa vue luy donnast au cœur. Je luy dis de sa part les paroles de tendresse qu’il m’avoit dites : apres quoy nous nous allames tous coucher. Mais quoy que je consentisse de tout mon cœur à ce qu’elle faisoit, à cause que je croyois que c’estoit le plus grand bien qui luy pust arriver, neantmoins la grandeur de cette resolution m’estonnoit de telle sorte et m’occupoit si fort l’esprit que je n’en dormis point de toute la nuit. Sur les sept heures, comme je voyois que ma sœur ne se levoit point, je crus qu’elle n’avoit point dormy non plus, et j’eus peur qu’elle ne se trouvat mal, de sorte que j’allay à son lit, où je la trouvay fort endormie. Le bruit que je fis l’ayant reveillée, elle me demanda quelle heure il estoit : je le luy dis, et luy ayant demandé comment elle se portoit et si elle avoit bien dormy, elle me dit qu’elle se portoit bien et qu’elle avoit bien dormy. Ainsy elle se leva, s’habilla et s’en alla, faisant cette action comme toutes les autres dans une tranquillité et une ega-