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BIOGRAPHIES

qu’il seroit gueri, un moyen d’exercer la charité, en le chargeant d’un vieil homme dont il prendroit soin le reste de ses jours ; car Monsieur le curé ne doutoit point qu’il ne dust guerir.

Comme il vit qu’il ne pouvoît avoir un pauvre dans sa maison avec luy il me pria que l’on le portast aux Incurables[1], parce qu’il avoit un grand desir de mourir en la compagnie des pauvres. Je luy dis que les medecins ne trouveroient pas à propos de le transporter en l’estat où il estoit. Cette response l’affligea sensiblement, et il me fit promettre du moins que s’il avoit un peu de relasche, je luy donnerois cette satisfaction.

[2] Mais je ne fus pas dans cette peine : car sa douleur de teste augmenta si considerablement que dans le fort de la douleur il me pria de faire une consultation ; mais entrant en mesme temps en scrupule, et me dit : « Je crains, me dit-il, qu’il n’y ait trop de recherche dans cette demande. » Je ne laissay pourtant pas de la faire. Les medecins luy ordonnerent de boire du petit lait, asseurant tousjours qu’il n’y avoit nul danger, et que ce n’estoit que la migraine meslée avec la vapeur des eaux. Neantmoins, quoy

  1. L’hôpital des Incurables, rue de Sèvres, avait été fondé en 1635 par le cardinal de la Rochefoucauld. Cf. Recueil d’Utrecht, p. 330 : « j’ajouteray seulement ici une particularité que je trouve dans une Lettre de M. de Sainte-Marthe. M. Paschal avoit, dit-il, un si grand desir de mourir pénitent qu’après m’avoir témoigné qu’il étoit assisté avec un tres grand soin, et qu’il ne manquoit d’aucun secours ni d’aucun soulagement, il me proposa le dessein qu’il avoit de se faire porter à l’Hôpital pour y souffrir et mourir avec les pauvres. Mais on ne jugea pas à propos de satisfaire son humilité. » La lettre de Ste Marthe est écrite à Mr Perrier, ecclésiastique, du 4 déc. 1688 ; elle vient d’être publiée apud Jovy, Pascal inédit, p. 386–388.
  2. 1684 : « Cependant cette douleur de teste augmentoit tousjours ; il la souffrait comme ses autres maux, sans se plaindre ; et une fois, dans le plus fort de sa douleur, le 13 aoust, il me pria… »