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BLAISE PASCAL

dit que cela n’estoit pas bien, qu’il devoit se rendre au sentiment de ses amis, qu’il n’avoit presque plus de fievre, et qu’il jugeast luy mesme s’il estoit juste de faire apporter le saint sacrement à la maison, puisqu’il estoit mieux ; et s’il n’estoit pas plus à propos d’attendre à communier à l’Église où il y avoit esperance qu’il seroit bien tost en estat d’y aller. Il respondit : « On ne sent pas mon mal, on y sera trompé ; ma douleur de teste a quelque chose de fort extraordinaire. » Neantmoins voiant une si grande opposition à son desir il n’osa plus en parler. Mais il me dit : « Puis qu’on ne me veut pas m’accorder cette grace, je voudrois y suppleer par quelque bonne œuvre, et ne pouvant pas communier dans le Chef, je voudrois bien communier dans les membres[1], et pour cela j’ay pensé d’avoir ceans un pauvre malade à qui on rende les mesmes services comme à moy. Car j’ay de la peine et de la confusion d’estre si bien assisté, pendant qu’une infinité de pauvres, qui sont plus mal que moy, manquent des choses necessaires. Qu’on prenne une garde exprez, et qu’enfin il n’y ait aucune difference de luy à moy. Cela diminûra la peine que j’ay de ne manquer de rien, et que je ne puis plus supporter, à moins que l’on ne me donne la consolation de sçavoir qu’il y a icy un pauvre aussi bien traitté que moy, qu’on aille, je vous prie, en demander un à Monsieur le curé.

J’envoyay à Monsieur le curé à l’heure mesme, qui me manda qu’il n’y en avoit point qui fust en estat d’estre transporté ; mais qu’il luy donneroit, aussytost

  1. 1684 : « Car quand je pense qu’en mesme temps que je suis si bien, il y a une infinité de pauvres plus malades que moy, et qui manquent des choses les plus necessaires, cela me fait une peine que je ne puis supporter. »