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BLAISE PASCAL

la mettre en condition. En effet, il luy envoya une femme qui travailla si bien avec ce bon prestre, que peu de temps après ils la mirent dans une honneste condition. Cet ecclesiastique ne sçavoit pas le nom de mon frere, et ne pensoit pas d’abord à le demander, parce qu’il estoit occupé du soin de cette fille ; mais, comme elle fut placée, il fit reflection sur cette action qu’il trouva si belle qu’il voulut sçavoir le nom de celuy qui l’avoit faite, il s’en informa de cette femme, mais elle luy dit qu’on luy avoit enjoint de le luy cacher : « Obtenez-en, disoit-il, la permission. Je vous en supplie ; je vous promets que je n’en parleray jamais de toute [sa][1] vie ; mais si Dieu permettoit qu’il mourut avant moy, j’aurois une grande consolation à publier cette action : car je la trouve si belle, et si digne d’estre sceue que je ne saurois souffrir qu’elle demeure dans l’oubly. » Mais il n’obtint rien, et ainsi il vit que cette personne qui vouloit estre cachée n’estoit pas moins modeste que charitable, et que si elle avoit du zele pour conserver la pureté dans les autres, elle n’en avoit pas moins de conserver l’humilité en elle-mesme.

Il avoit une extreme tendresse pour ses amis et pour ceux qu’il croioit estre à Dieu ; et l’on peut dire que si jamais personne n’a esté plus digne d’estre aimée, personne n’a jamais mieux sçu aimer, et ne l’a jamais mieux pratiqué que luy. Mais sa tendresse n’estoit pas seulement un effet de son temperament ; car quoy que son cœur fust tousjours prest à s’attendrir sur les besoins de ses amis, il ne s’attendrissoit pourtant jamais que selon les regles du Christianisme que la raison et la foy luy mettoient devant les yeux. C’est pourquoy sa tendresse n’alloit point

  1. F. : ma, par une erreur évidente.