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BIOGRAPHIES

bien qu’il vouloit quitter le monde que le monde enfin le quitta.

Enfin il agissoit tousjours par principes, en toutes choses ; son esprit et son cœur, faits comme ils estoient, ne pouvoient pas avoir d’autre conduitte. Ainsi ceux qu’il se proposa dans sa retraitte furent ces maximes si solides de la vraye pieté, l’une de renoncer à tous les plaisirs, et l’autre de renoncer aussy à toutes sortes de superfluitez.

Il commença d’abord, pour entrer dans la pratique de la premiere maxime à se passer des lors, comme il a tousjours fait[1] depuis, du service des domestiques autant qu’il le pouvoit. Il faisoit son lit luy mesme, il alloit prendre son diner dans la cuisine, il rapportoit sa vaisselle, et enfin ne se servoit de son monde[2] que pour les choses qu’il ne pouvoit absolument faire luy mesme.

Il n’estoit pas possible qu’il n’usast de ses sens ; mais, quand il estoit obligé par necessité de leur donner quelque plaisir, il avoit une adresse merveilleuse pour en destourner l’esprit afin qu’il n’y prist point de part. Nous ne luy avons jamais ouy loüer en mangeant les viandes qu’on luy servoit ; et quand on avoit eu soin quelques fois de luy servir quelque chose de[3] plus delicat, si on luy demandoit s’il l’avoit trouvé bon, il disoit simplement : « Il falloit m’en avertir auparavant, car à present je ne m’en souviens plus, et je vous avouë que je n’y ay pas pris garde. » Et lorsque quelqu’un, selon l’usage si ordinaire du monde, admiroit la bonté de quelque viande, il ne le

  1. du depuis dans le manuscrit F.
  2. Texte imprimé : que pour faire la cuisine, pour aller en ville et pour les autres choses…
  3. Texte de 1684 : « nouveau selon les saisons ».