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BLAISE PASCAL

Depuis qu’elle estoit entrée en Religion, elle avoit tous les jours augmenté en ferveur, et tous ses sentiments ne respiroient qu’une sainteté sans reserve ; c’est pour quoy elle ne pouvoit souffrir que celuy à qui elle estoit redevable aprez Dieu des graces dont elle jouissoit, ne fust dans la possession de ces mesmes graces ; et comme mon frere la voioit souvent, elle luy en parloit souvent aussy, et enfin elle le fit avec tant de force qu’elle luy persuada ce qu’il luy avoit persuadé le premier, de quitter le monde et toutes les conversations du monde, dont les plus innocentes ne sont que des inutilitez continuelles, tout à fait indignes de la sainteté du christianisme à laquelle nous sommes tous appelez et dont Jesus Christ nous a donné l’exemple.

La raison de sa santé, qui l’avoit touché auparavant, luy parut si pitoyable qu’il en eust honte luy mesme. La lumiere de la vraye sagesse luy fit voir à descouvert que le Salut devoit estre preferable à toutes choses, et que c’estoit raisonner faux que de s’arrester à un bien passager de nostre corps quand il s’agissoit du bien eternel de nostre ame.

Il avoit trente ans[1] quand il resolut de quilter ces nouveaux engagements qu’il avoit dans le monde ; il commença à changer de quartier, et pour rompre davantage toutes ses habitudes, il alla à la campagne, d’où, estant de retour après une retraitte considerable, il tesmoigna si

  1. Le texte de 1684 porte : « Il avoit alors environ trente ans, et il estoit toûjours infirme et c’est depuis ce temps-là qu’il a embrassé la manière de vivre où il a esté jusques à la mort. » Pascal avait, en réalité, plus de trente et un ans. — Voir également à ce propos la Préface que Perier écrivit pour les Traités sur le Vide, sitôt après la mort de Pascal, infra, t. III, p. 155, n. 1, et p. 278.