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BLAISE PASCAL

dit que c’estoit qu’il avoit trouvé telle autre chose. Et sur cela, luy ayant fait encore la mesme question, il luy dit encore quelques demonstrations qu’il avoit faites ; et enfin, en retrogradant et s’expliquant toujours par les noms de ronds et de barres, il en vint à ses definitions et à ses axiomes[1].

Mon pere fut si espouvanté de la grandeur et de la puissance de ce genie, que, sans luy dire mot, il le quitta, et alla chez Monsieur Le Pailleur, qui estoit son ami intime, et qui estoit aussi fort-savant[2]. Lorsqu’il y fut arrivé, il demeura immobile, comme un homme transporté. Monsieur Le Pailleur voiant cela, et voiant mesme qu’il versoit quelques larmes, fut espouvanté, et le pria de ne

  1. Voir la Préface aux traités de 1663, infra, t. III, p. 271–273. Le récit de cette anecdote célèbre doit être complété par l’indication suivante que nous fournit Tallemant des Réaux : « Le president Paschal a laissé un filz qui tesmoigna dez son enfance l’inclination qu’il avoit aux Mathematiques. Son pere luy avoit defendu de s’y addonner qu’il n’eust bien appris le latin et le grec. Cet enfant, dès douze ou treize ans, lut Euclide en cachette, et faisoit desjà des propositions ; le pere en trouva quelques-unes ; il le fait venir et luy dit : « Qu’est-ce que cela ? » Ce garçon, tout tremblant, luy dit : « Je ne m’y suis amusé qu’aux jours de congé. — Et entens-tu bien cette proposition ? — Ouy, mon pere. — Et où as-tu appris cela ? — Dans Euclide, dont j’ay lu les six premiers livres » (on ne lit d’ordinaire que cela d’abord). « — Et quand les as-tu lûs ? — Le premier en une après disnée, et les autres en moins de temps à proportion. » Notez qu’on y est six mois avant de les bien entendre » (Historiettes, 188–189 : Le president Paschal et son filz). Il convient, semble-t-il, d’accepter le récit de Tallemant, qui est fait en vue de rendre hommage à la vocation mathématique de Pascal et qui date de 1657. D’ailleurs, ce n’est rien enlever à la gloire de Pascal, tout au contraire, que de rendre vraisemblable cet « exploit » de son enfance, que sa famille avait tout naturellement embelli et transformé en légende, au point de le rendre suspect : le génie de Pascal apparaît plus nettement, et l’admiration n’est gênée par aucune réserve.
  2. Sur M. le Pailleur, voir l’Appendice, infra, p. 115.